9 février 2010

"Mother", de Bong Joon-Ho

Wahou !
"Mother", le nouveau film de Bong Joon-Ho, m'a vraiment plu.
La maman d'un jeune homme un peu attardé, dépendant, fait tout pour l'innocenter du terrible meurtre d'une jeune fille. Ca démarre comme une intrigue policière, avec mystère et enquête à la clé.
L'ambiance est un peu flippante, les situations étranges et burlesques.
Le réalisateur dessine à travers cette intrigue une Corée corrompue, où les puissants utilisent les faibles comme faire-valoir, où la justice est bâclée, où la vérité des choses est méprisée.


Puis le film se focalise sur la mère, la mère et son fils
Le garçon n'essaie pas de se défendre, tout d'abord : cette épreuve semble pour lui l'occasion de s'endurcir vis-à-vis de sa mère.
Dans un premier temps celle-ci va mettre sa dignité, son intégrité, sa vie en jeu, même, pour le sauver. On croit à un dévouement sans limite...
Puis on s'aperçoit qu'il s'agit surtout de se sauver elle-même à ses propres yeux. Et que pour ça, il faut maintenir son fils dans la dépendance, le laisser dans l'illusion d'une mère transcendante, sans qu'il puisse s'en affranchir. Quand ce fils, émergeant de la torpeur où il vivait, découvre cette vérité, la mère est ébranlée : remise en question par son propre fils, c'est toute son existence de mère qui perd son sens ; alors elle pète les plombs, elle lui dit qu'elle a tout fait pour lui parce qu'elle l'a fait pour elle... "Toi, c'est moi", hurle-t-elle, et on comprend qu'elle le dévore, qu'elle lui a toujours confisqué sa liberté.

Ce film pousse au paroxysme les relations fusionnelles des mères et de leurs fils, ce genre de relations qu'entretiennent certaines femmes dès qu'elles sont responsables d'un garçon, quitte à maintenir leur rejeton dans l'irresponsabilité ; le genre de relations qu'entretiennent aussi leurs garçons pour ne pas ébranler l'image de la mère transcendante, pour se maintenir dans l'absence de choix...
Mis en scène dans "Mother", avec la folie des personnages, ça rend quelque chose d'assez troublant, violent. La salle était pleine mais s'est un peu vidée pendant la séance. Un tel propos ne peut qu'heurter certains dans leur vision idyllique de la maternité et de la filiation.

La réalisation elle-même ? Superbes images mais sans esbrouffe, ambiances palpables, personnages superbes. Et une intrigue magistralement menée et une mise en scène sans concession (que j'avais déjà trouvé à ce réalisateur dans son précédent film, "the Host").
La vache, oui, ce film m'a vraiment plu...

"Tolérance", la vertu des tièdes.

La tolérance est un principe vendu aujourd'hui comme une valeur fondatrice. Mais c'est pourtant une posture destructrice. Derrière ce mot, on voudrait évoquer un discours politique très années 80, le touche-pas-à-mon-pote, le métissage, la diversité culturelle et artistique contre la morosité, le sourire contre le FN. Aujourd'hui, n'être "pas tolérant", c'est pas cool : plus encore que l'honnêteté, les institutions exigent la tolérance.

Mais c'est un dogme. La tolérance est surtout l'argument vendeur des chansons à succès, des histoires au cinéma et des stars prêtes-à-consommer. "un magnifique film sur la tolérance" ; "un livre pour apprendre la tolérance à vos enfants", etc.

D'abord, tolérer quelqu'un implique d'être dans une position de domination sur lui. Illustration simple : le préfet peut tolérer qu'une personne immigrée vive, ou non, sur le territoire. Mais cette personne peut-elle tolérer le mode de vie du préfet ? Non, parce que ça ne fonctionne qu'à sens unique. On ne tolère que ceux qu'on juge et qu'on peut innocenter ou condamner.

Et qu'est-ce que la tolérance quand on fait partie des citoyens administrés ? Si on doit tolérer la misère et l'exclusion sociale, les conditions de travail minables, la violence d'Etat, les pratiques religieuses sexistes et liberticides, les violences communautaires, l'abrutissement général des téléspectateurs par les programmes débiles, on pourrait plutôt parler de résignation, non ?

On notera que les dirigeants qui depuis 40 ans prônent la tolérance sont ceux qui attendent de nous qu'on soit bien "flexibles" et qu'on s'adapte à la violence qu'ils imposent sur leurs administrés. Un peuple tolérant est un peuple contrôlable, les flics et les grands médias tiennent leurs places, et tous nous invitent à garder le sourire et à carpe diem, à nous adapter au néolibéralisme. Quelle hypocrisie.
Tolérer le monde tel qu'il, sans rien y faire. Rivaliser de dynamisme et de sourire, mais rester mou, sans opinion, sans prise de risque. Une chose est sûre, ça demande moins d'efforts que de choisir entre : accepter les choses ou les refuser.

Autre chose : actuellement il y a un discours d'extrême-droite qui consiste à défendre la liberté d'expression totale, à dessein d'exprimer la parole raciste, antisémite, homophobe. Rien de nouveau. Déjà dans les années 30, accompagnant la montée du nazisme, la Libre Parole était le nom d'un journal raciste et antisémite en France, qui banalisait la haine. Son fond de commerce : aucune expression, même les appels aux persécutions et aux meurtres, ne devait être illégale. Or le racisme n'est pas une opinion mais un délit.

Pour progresser vers l'autre, il faut de l'acceptation, du respect. Accepter l'autre tel qu'elle est, c'est le faire sans jugement ni sentiment de supériorité. Accepter une nouvelle situation, c'est tenter de trouver les moyens d'y évoluer.

Refusons la tolérance (et encore plus, l'intolérance !)

Voici ce qu'en disait un médiatique prof de philo, Charles Pépin :
"... Comme cet homme raciste : vous tolérez deux de ses blagues mais pas trois. Qu'elle dépende d'un seuil quantitatif prouve que la tolérance n'est pas une valeur en soi. (...) La tolérance est une valeur négative ; le respect, une valeur positive. Respecter la différence, c'est aller vers elle, au risque d'ailleurs de revenir changé. Tolérer l'autre, c'est ne pas aller vers lui alors qu'on voudrait le frapper. Le respect vise le bien, la tolérance le moindre mal."

Entretien de Jean-Michel Carré, réalisateur du docu "Les Travailleu(r)ses du Sexe"

Jean-Michel Carré a d'abord fait des films sur les mutations de notre rapport au travail, sur l'enfermement en milieu carcéral, sur les conditions sociales qui génèrent malaise et délinquance. Un observateur, malin et pertinent.
"J'ai (très) mal au travail", que j'avais vu il y a deux ans, était un docu très réussi sur l'évolution du travail et de sa place dans notre société, les nouvelles pathologies, les nouvelles exigences liées au travail.

Son nouveau film est sorti cette semaine, "Les Travailleu(r)ses du Sexe", et je suis persuadé que c'est une réussite. Et puis, histoire de discuter encore de savoir si il faut abolir la prostitution ou améliorer le sort des prostitué(e)s...


Jean-Michel Carré :
"L’économie de marché a généré la multiplication des salons de l’érotisme et de sociétés d’éditions de vidéos pornographiques, au nom de la prétendue liberté du consommateur. Dans un autre domaine du travail du sexe, la prostitution est restée plus ou moins tolérée dans la plupart des pays. En France, Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’intérieur, fait voter en mars 2003, une loi dite de « sécurité intérieure » incluant le racolage passif des prostituées. Si la prostitution devient très vite moins visible dans nos rues, la prostitution augmente considérablement sur les réseaux Internet et aux périphéries des villes, rendant à nouveau des prostituées à la merci des proxénètes et des réseaux mafieux. 
 
Qualifiée de plus vieux métier du monde, la prostitution reste un «obscur objet de haine et de désir». Elle a stigmatisé le symbole de l’exploitation de la femme par l’homme dans toutes les sociétés. Ces problématiques, je les avais traitées, il y a plusieurs années, dans un cycle sur la prostitution1 Mais depuis la loi Sarkozy, certaines femmes et
hommes revendiquent à nouveau haut et fort la volonté de pouvoir louer librement leur corps, de défendre leurs pratiques sexuelles et réclament que leur métier soit considéré comme aussi respectable qu’un autre, avec ses droits et ses devoirs. 
 
Paroles dérangeantes qui nous questionnent sur un fait de société victime de jugements moralisateurs, d’anathèmes de certaines féministes et de mépris de beaucoup d’autres. Une activité qui interroge, naturellement la sexualité, mais aussi les rapports hommes / femmes, le pouvoir, l’argent, la définition d’un travail… Une question sociétale où il est indispensable de sonder l’économie de marché qui utilise une pseudo libération sexuelle pour justifier la marchandisation de l’intime au nom de la prétendue liberté du consommateur. "


site de la prod de ce film et des autres films de ce réalisateur :
http://www.films-graindesable.com/menu.html

Interview dans l'Huma :
http://www.humanite.fr/Entretien-de-Jean-Michel-Carre-realisateur-du-documentaire-Les-travailleu-r-ses-du