2 novembre 2018

"41% de français pour un régime autoritaire" : comment faire du buzz avec un sondage manipulateur ?

La presse fait ses chougra d'un sondage réalisé par l'IFOP pour Ouest-France et diffusé cette semaine. Des gros titres qui sentent mauvais mais qui donnent envie d'y coller le pif.



Non contents de relayer ce seul aspect de ce sondage déjà bien orienté, ces médias se sont empressés de le traduire en titres bien spectaculaires et de "faire du buzz" (c'est-à-dire de la polémique, du clic, donc des chiffres). On ne s'étonnera pas qu'il s'agisse là d'une presse aux mains d'oligarques (qu'on appelle magnats) et d'actionnaires, une presse qui offre du spectaculaire plutôt que de partager de la connaissance.


Et nous voilà avec l'affirmation, unanimement assenée, que "41% de français veulent un régime autoritaire".

La question posée, la dernière de ce long sondage, est en page 25. D'abord, elle ne peut pas être réduite à ces gros titres manipulateurs.... en voici des captures d'écran :



La question en elle-même pose problème puisque sa formulation est trompeuse : "Certains pensent que... êtes-vous d'accord ?" Elle invite à admettre que cette opinion est déjà partagée, et il ne reste qu'aux personnes sondées qu'à l'approuver ou la désapprouver. Mais comment l'IFOP — qui avait réalisé ce sondage APRÈS avoir écrit sa question — pouvait-il déjà savoir ce que certains pensaient ? Qui sont ces certains au juste ? 

Cette question ressemble donc davantage à un plébiscite qu'à une façon de sonder l'opinion. 
Ce que révèle les réponses c'est que parmi les sondés, les plus jeunes sont aussi les plus en accord avec les certains qui pensent que... Bref, les plus jeunes, moins rodés à la vie politique, semblent être les plus tentés par l'expérience autoritaire — bin oui, évidemment, les plus anciens savent ce qu'un régime autoritaire implique : ils n'en veulent pas.
L'évidence qui est confirmée, c'est que parmi les sondés ayant des proximités à droite (parmi laquelle l'extrême-droite), la majorité accepterait un pouvoir plus autoritaire. Rien de nouveau là-dedans.

Voilà encore un sondage qui surfe sur le ras-le-bol général pour faire dire des conneries aux gens. 
On sera plus proche de la réalité avec ce chiffre : 100% des Français veulent juste être entendus, respectés, et exercer le pouvoir qui leur revient (on ne parle pas ici du pouvoir d'achat).  Et certainement, 100% veulent de l'honnêteté : que leurs dirigeants, quand ils sont autoritaires, ne se fassent pas passer pour des chantres de la démocratie.

25 octobre 2018

Appelons un chat un chat et un salaud un salaud

l’île de beauté
la cité phocéenne
l'Hexagone
la fille aînée de l’Église
le pays du soleil levant
la grande bleue
le billet vert
l'or noir

22 octobre 2018

Le malentendu Jean-Michel Basquiat

Depuis ce mois d’octobre, la fondation Louise Vuitton expose deux artistes, Egon Schiele et Jean-Michel Basquiat. Au-delà de l'opportunisme commercial qui consiste à présenter des "stars" à l’œuvre "sulfureuse", la visite vaut le déplacement au moins pour Shiele.


L'effervescence qu'il y a régulièrement autour de Basquiat me semble être un énorme malentendu. Cet artiste est un pur produit du marché de l'art, surestimé à la place d'autres méconnus : un bel arbre qui cache une forêt palpitante.

Quand on visite une expo, un "Basquiat" a quelque chose d'évident, d'immédiatement reconnaissable. Mais si je pige bien l'enjeu d'intégrer des figures traditionnelles haïtiennes dans ses œuvres modernes, je ne prête pas d'intérêt à cette oeuvre, ni pour les sentiments qu'il y exprime, ni pour l’usage des symboles politiques ou sexuels, ni pour les couleurs, ni pour la maîtrise du geste. J'ai vu ses oeuvres dans des collections permanentes ou lors d’expositions dédiées, j’ai vu les gens piétiner et s’extasier. J'ai essayé, vraiment. Montages sympa. Détournements malins. De la colère, de la couleur. Mais j'ai le sentiment que le cas Basquiat est une énième supercherie du marché de l'art contemporain. Un goût amer, que ne m'ôte pas la vision de la fée Louis Vuitton se penchant sur la tombe de l'artiste.

Alors, à quoi Basquiat devait-il la reconnaissance ? sans doute à son goût pour l'art "métissé" et éphémère dans le new-york de l'époque ; sans doute à sa gueule d'ange déchu ; sans doute à son puissant entregent, de Warhol à Maplethorpe ; sans doute aussi au désir des riches galeristes et des mécènes blancs de s'encanailler et de renouveler leur image. Le mélange des toutes ces raisons est un cocktail efficace et vendeur. Un cocktail efficace, ce que Basquiat a été, peut-être malgré lui.

Je suis certain de la sincérité de Basquiat, je n'ai aucune critique à faire sur sa démarche. Mais n’oublions pas qu’il était un des 1000 visages de l'explosion culturelle à New York : le graff & le hip-hop, un nouvel art des rues dans les quartiers de New-York et au-delà, un mouvement (multi-)culturel bouillonnant et indomptable, encore complètement méconnu du grand public à l’époque.
En extrayant Basquiat de tout cela et en l'exposant depuis des décennies par les voies les plus mondaines et les plus mercantiles, non seulement on valorise un artiste mineur, mais surtout on passe à côté d'un mouvement énorme, subversif et populaire... : la culture des rues au début des années 1980, l'art éphémère et l'art brut, la poésie des marges.
Cet ensemble occupe une place passionnante... en-dehors des galeries, des musées et du marché.

Basquiat est désormais un symbole — qui peut même être utilisé et détourné par Banksy, le maître du happening. Mais c'était juste un artiste de l'éphémère qu'on a tenté d'apprivoiser.
SAMe Old shit.

15 octobre 2018

Entretien avec Aurélie Filippetti paru cet été : où l'on parle d'oligarchie et de plans de carrière

Après un bout de mandat de ministre de la Culture, où sa fonction était de cautionner des choix gestionnaires antisociaux et d'être une "femme de paille" du gouvernement Hollande, Aurélie Filippetti semble aujourd'hui rangée des mésaventures politiciennes.
L'auteure du roman Les idéaux, paru chez Fayard cette année, a livré tout de même un entretien passionnant cet été dans les Inrockuptibles. Et c'est toujours instructif, autant qu'ironique, d'écouter une personne intelligente débarquée de la machine gouvernementale, qui cite Bourdieu en dénonçant un système oligarchique.

Je me permets de publier des extraits de cet entretien, accessible sur le site de l'hebdo.
© photo Jules Faure

Les Inrocks — Pourquoi as-tu écrit un roman et pas un essai ou un récit ?

Aurélie Filippetti – Le seul moyen de cerner la réalité, c’est la littérature, qui permet de poser des questions, de varier les points de vue, d’ouvrir des horizons… Tous ces récits ou essais politiques qui sont parus dernièrement ne sont pas de vrais livres, ils font partie de stratégies de communication. C’est comme si, pour les politiques, il fallait écrire des livres à un certain moment, il n’y a rien de réel là-dedans, et c’est d’ailleurs le problème aujourd’hui : cette espèce d’inauthenticité qui se glisse partout.

Les Inrocks — D’ailleurs, dans Les Idéaux, quand tu deviens ministre… pardon, quand la narratrice le devient, elle découvre que la com est omniprésente…

AF — La communication devient le plus important. Auparavant, la com servait l’action, la valorisait, aujourd’hui elle la remplace. L’important n’est pas de communiquer sur ce que tu fais, mais de communiquer avant de faire, voire sans faire. Si tu veux accomplir des choses et que tu ne communiques pas dessus, c’est comme si tu ne faisais rien. Et ça, c’est délétère pour l’action politique. Macron a très bien compris ça. A un moment, la communication va remplacer l’action. Guy Debord avait raison à un point inouï.

Les Inrocks — C’est l’une des raisons pour lesquelles les gens se méfient de plus en plus des politiques ?

AF — Ils voient qu’il y a quelque chose de faux là-dedans, mais ils ne comprennent pas très bien comment. Ils perçoivent quelque chose, et cela jette en effet un discrédit sur les politiques. Je pense que ce qu’il faut absolument sauver, c’est l’idée de représentation politique, d’une assemblée parlementaire délibérative, l’idée de réfléchir à des processus démocratiques. Sur cette réflexion-là – qu’est-ce qu’un bon gouvernement ? –, on est dans une régression totale à l’échelle de la planète tout entière. Car on ne nous offre qu’un seul modèle : une espèce d’homme providentiel, autocrate… La réflexion sur le bon gouvernement a totalement disparu.
Avant, on avait une bourgeoisie économique, aujourd’hui on a une bourgeoisie intellectuelle, politique, qui a pris en main tous les leviers du pouvoir politique. Cette homogénéité d’une sorte d’ultracaste est en train d’instaurer une forme d’oligarchie dans ce pays. C’est difficile de dire ça, mais au fond, c’est exactement ce qui se passe en France, en Europe, un peu partout. Ça me désespère car je suis tellement imprégnée des idéaux de la démocratie, dont l’un d’eux est de représenter ceux qui n’ont pas accès normalement à la tribune. (...)

Les Inrocks — Tu écris que dès que tu es nommée ministre de la Culture, on te conseille de t’entourer de jeunes bourgeois, pas du tout de faire monter quelqu’un issu d’un milieu défavorisé, du peuple.

AF — Ce qui est très frappant, c’est qu’au moment où tu arrives au coeur du pouvoir, il y a des gens qui sortent de nulle part et qui se destinent depuis toujours à l’exercice du pouvoir.
Et tu es contraint de travailler avec eux. Je ne critique pas tous les énarques, mais c’est cet esprit de corps, de grand corps, où tu peux parfois trouver des gens formidables, mais c’est cet esprit de système qui pose problème. Car, au fond, le corps va penser à se protéger lui-même avant de défendre une politique, de soutenir un ministre. 
Par exemple, il n’est pas envisageable qu’au ministère de la Culture il n’y ait pas au moins un conseiller d’Etat. Au nom de quoi, de quelle règle ? Il y a des places qui sont ainsi réservées à certains grands corps, surtout parmi les pôles les plus importants tels le Conseil d’Etat, la Cour des comptes et l’inspection générale des Finances. C’est comme une nouvelle noblesse. En plus pervers, comme aurait dit Bourdieu, car ça se pare des vertus de la méritocratie, d’un concours auquel on est reçu à 20 ans pour y entrer, et d’un concours de sortie réussi. A mon sens, c’est en effet très pervers car antidémocratique.
(...)
Aujourd’hui, c’est l’apothéose. Le recrutement social des grandes écoles s’opère dans la grande bourgeoisie. Donc, globalement, l’essentiel de la technostructure fait partie de la bourgeoisie, voire de la grande bourgeoisie. 
(...)
Quand un président de la République se prend quinze unes de journaux disant qu’il est urgent de réformer la SNCF, s’il ne fait rien on dira qu’il est un incapable. Mais d’où sort cette idée qu’il faut réformer la SNCF ? Il faut avoir les idées hyper claires avant d’arriver au pouvoir, et s’entourer de personnes issues de tous les cercles. Or, certains ont des plans de carrière, et ils n’ont pas trop intérêt à ce qu’il y ait des changements dans les façons de faire....

8 octobre 2018

Quand Banksy, malgré lui, devient l'acteur du système qu'il dénonce

BREAKING NEWS dans le monde du marché de l'art.
Une oeuvre de Banksy s’est littéralement auto-détruite vendredi 5 octobre 2018, lors de sa vente aux enchères chez Sotheby’s à Londres. Le dispositif de destruction est revendiqué par l'artiste, qui explique sur son Insta : "Il y a quelques années, j'ai construit en secret une déchiqueteuse dans un tableau. Au cas où il serait vendu aux enchères..." Il cite Picasso en écrivant que le désir de détruire est aussi un désir créatif ("El impulso de destruir es también un impulso creativo").

Evidemment, gros buzz. On commente beaucoup le geste subversif de ce "street artist" qui, depuis des années, entend dénoncer la société de consommation. Depuis longtemps on n'avait pas vu de confrontation aussi brutale, aussi évidente, entre le marché de l'art et sa critique apparente. 
Mais ceux qui défendent Banksy semblent être surtout les acteurs eux-mêmes du monde de l'art, c'est-à-dire qu'ils sont partie prenante de cette société de consommation. Les galeristes, les amateurs d'art, et les familiers de ce petit monde défendent Banksy comme un héros face à la bourgeoisie réactionnaire, comme leur fils prodigue. Pour Nicolas Laugero Lasserre, collectionneur et directeur de l’ICART, "Banksy l’artiste de street art le plus célèbre du monde est définitivement devenu un génie”. 
Le galeriste anglais Robert Casterline, très amusé, a eu la formule : “Banksy s’est encore moqué du marché de l’art qu’il méprise tellement”. C'est exactement ça : le dispositif de Banksy, fait pour se moquer du marché de l'art, s'inscrit dans la logique de subversion spectaculaire qui a fait de lui une star. Et la relative énigme qui l'entoure (sa marque de fabrique consiste à se masquer) le rend encore plus attrayant.
Ici, on touche du pinceau un sujet récurrent dans l'art contemporain : le décalage entre la valeur de fabrication d'un produit et sa valeur marchande. Ce décalage existe, dans le marché de l'art, comme nulle part ailleurs. Luc Boltanski et Arnaud Esquerre, dans leur bouquin Enrichissement. Une critique de la marchandise, avaient déjà dénoncé le fait que pour réaliser une plus-value marchande efficacement, le capitalisme développe une stratégie de valorisation dans le secteur de l'art, et particulièrement des arts plastiques, où les prix ne sont ni contrôlés, ni fixés.
La démarche critique de Banksy, son intention donc, est une plus-value à ses oeuvres. On admet d'ailleurs que le tableau détruit, avec son cadre déchiqueteur, pourrait valoir encore plus cher ! Cette fois encore, le capitalisme a absorbé sa critique, comme Michel-Edourd Leclerc a recyclé les oeuvres subversives de mai 68 pour en faire des pubs. 
Banksy, tout en clamant avec une bonne dose de provoc qu'il affronte le Mal, s'est fait phagocyter par lui : c'est ce qu'il arrive à presque toutes les stars de "l'art contemporain subversif" depuis Andy Warhol quand elles sont cotées à l'Argus du marché de l'art... Quand Banksy voit son geste subversif marchandisé, il apparaît lui aussi, et sans doute contre son gré, comme un acteur du système qu'il dénonce.

5 octobre 2018

Quel regard on portait sur la "monstruosité" dans les années 30 ?

Il est passionnant de parcourir de vieux documents, livres ou journaux, quand ils sont numérisés et mis en ligne sur Internet. Ainsi on peut trouver la presse parue il y a plus de 70 ans, comme la collection de Cinémonde, une revue cinéma de référence déjà dans les années 30.
Ce journal véhiculait des idées dites progressistes et accueillait dans ses colonnes de "grands esprits" comme Carl Dreyer, Marcel Carné, Max Ophuls, Blaise Cendrars, Joseph Kessel, etc. Pourtant, en le lisant aujourd'hui on y voit comme le racisme, le sexisme, le mépris des classes populaires étaient violents, et comme le triomphe des dominants paraissait, encore à cette époque, couler de source.
En 1932, l'humanisme ou le marxisme n'avaient pas encore fait entrer profondément dans les mentalités l'idée qu'on est égaux en droits. Les noirs étaient encore des sous-hommes, les gens victimes de malformations pouvaient étaient montrés dans les foires. Il était admis, donc difficile à dénoncer, que les femmes avaient pour rôle de valoriser les hommes, et que la bonne pédagogie pour les enfants se faisait à coups de trique. Les voix discordantes étaient encore peu audibles. 

1932, c'était aussi les années de la crise financière, une misère quotidienne impitoyable, les gens sans foyer, l'errance, la survie, toute une société devenue difforme. Tod Browning réalisait FREAKS, chef-d'oeuvre du cinéma et vision amère de l'humanité. Il y racontait les intrigues, au sein d'une troupe de cirque, entre les "monstres"repoussants et les personnes perçues comme normales, pleines de vigueur et de séduction. Il racontait les rapports de pouvoirs qui s'établissaient entre ces personnages. Browning, qui lui-même avait été comédien, était familier des cirques itinérants. Avec cette histoire, il renversait notre regard sur la monstruosité : au sein de la troupe, la jolie écuyère et les hommes vigoureux semblaient être les gens les plus cruels, les plus froids, donc les plus monstrueux. En comparaison, les "monstres" exprimaient la compassion et la solidarité la plus humaine.

Mais Cinémonde, dans sa chronique du film, a ignoré crassement le message du metteur en scène. Avec l'aplomb d'une Nadine Morano, l'auteure n'a vu dans ces gens misérables que des gens méprisables. Son texte, qui choquerait beaucoup d'entre nous aujourd'hui, témoignait de l'état d'esprit de l'époque, partagée par l'immense majorité : le mépris, brutal et rigolard, envers les plus faibles que soi.

EXTRAITS :
Voilà, réunis en une hideuse galerie, quelques-uns des plus déconcertants phénomènes que puisse produire la nature, lorsqu'elle s'égare... Homme tronc, sœurs siamoises, femme à barbe, nains et autres monstres, conjuguent leur laideur et leurs difformités, dans un film qui excitera la curiosité morbide des foules... Mais tombé le rideau, éteintes les lumières, quelle est la Vie Privée de ces lamentables déchets humains ? (...) 
On ne peut aborder la question des monstres sans rappeler la sensationnelle enquête que notre confrère Jean Masson a publiée sous le titre «La cinquième race».(...)Il se dégageait, de cette enquête une impression de malaise, et pourtant la conclusion en était consolante.
— Les monstres ne souffrent pas de leur état, affirmait Masson, après avoir vécu plusieurs mois en leur horrible compagnie. (...)
La plupart d'entre eux sont bouffis d'orgueil. Il n'est pas d'êtres plus vaniteux, plus susceptibles, plus égoïstes. Il existe entre eux une sorte de hiérarchie stupéfiante, le plus envié, le plus respecté, le plus fier étant celui dont le cas est le plus étrange, le plus horrible... Ceci pour les monstres conscients. Quant aux autres, les crétins, les gâteux, les idiots, ils passent leur vie dans un rêve ininterrompu, cotonneux, flou, anesthésique, pourrait-on dire... Il s'agit vraiment d'une race particulière, en marge des lois qui régissent les autres hommes (...) 

15 septembre 2018

Grand prix de poésie RATP !

L'éditeur Hachette, au XIXè siècle, avait inventé la "littérature de gare", concept concrétisé ensuite par les Relais H dans les gares. Pour égayer les voyageurs avec une opération de com', le a RATP a inventé la "poésie de métro". 

L'idée d'un prix attribué à des poètes amateurs permet d'offrir à ces inconnus leur quart d'heure de gloire, puisque "leurs poèmes seront affichés sur l’ensemble du réseau RATP (soit près de 10 000 emplacements) pendant les deux mois d’été et ainsi lus, chaque jour, par des millions de voyageurs !"

Pour moi, l'idée même du "concours" s'oppose au concept de poésie. La concurrence que cela implique, avec l'avis d'un jury, et le prix et le petit succès au bout de l'histoire, font entrer ces textes dans la catégorie du slogan, de la feel-good formulae.
Mais la régie des transports publics a cédé aux sirènes de l'image marketing. Il ne suffit plus d'être un moyen de transport. Il faut créer du lien, par exemple avec une signalétique sympa — "la RATP vous souhaite la bienvenue" — créée par un sous-traitant, ou avec des textes dans les rames, des textes sympas qui parlent de soleil, de de sourire, d'amour et de paix. 
Et puis avouons-le au risque de me faire accuser d'arrogance : les textes envoyés à la RATP sont parfois bien troussés mais toujours futiles, voire inconsistants, et leur niveau ne dépasse pas celui d'un quai de la ligne 11.

Pendant ce temps, sur mon strapontin, 
je me replonge dans mon bouquin.

21 juillet 2018

L'affaire Benalla, la 5ème république et la tradition de la violence d'Etat

L'affaire Benalla a été abondamment relayée et traitée, les vidéos et les commentaires occupent la toile depuis quelques jours. Certains médias, comme Médiapart, mettent à jour le fonctionnement d'un système qui permet ce genre de dérives. Pensant que tout est ou sera dit à propos de cette affaire, il m'a d'abord semblé inutile de l'évoquer encore. Puis j'ai voulu parler de ce qu'elle révèle : la violence d'état comme constitutive de la 5ème république, et l'impunité des représentants des gouvernements.
Emmanuel Macron et Alexandre Benalla, au Touquet, le 17 juin 2017-AFP

D'abord, qu'on ne vienne plus me dire que les heurts, lors des manifs, ne sont pas causés par les forces de l'ordre ! Evidemment certains militants, dont les Black blocs, optent pour une violence ciblée pour inverser le rapport de forces entre représentants de l'ordre et manifestants. Mais la tradition du maintien de l'ordre, qui comprend l'intimidation, la violence et la répression, avec l'impunité pour les coupables, est ancienne et évolutive.
Pour Denis Jacob, du syndicat de police Alternative CFDT, 
Benalla n'est pas policier mais "il agit comme tel".

Si les images de l'intervention d'Alexandre Benalla lors de la manif parisienne du 1er mai 2018 sont montées en épingle, c'est pour une raison : cette fois, c'est un proche de Macron qui s'en rend coupable, et pas un flic... La violence des "forces de l'ordre", elle, est aussi banalisée qu'un véhicule de police... Combien de faits similaires sont passés sous silence ? Dans les fourgons, en garde à vue, dans les hall d'immeubles, dans les centres de rétentions ou les campements clandestins, combien de "bavures", de violences sans réelles enquêtes, de morts chaque année entre les mains des flics ? (*)
Article à lire sur StreetPress

Un conseiller de Macron se fait passer pour un flic pour tabasser plusieurs manifestants et il est couvert durant des mois. Qu'est-ce que ça révèle ?
D'abord, l'impunité du pouvoir : si les représentant du gouvernement ne bénéficiaient pas d'une telle impunité, les flics ne l'auraient pas admis dans leurs rangs. Il a fallu que la hiérarchie policière ait eu l'ordre de laisser faire, ce que les médias révèlent peu à peu. Après les révélations, le ministre de l'intérieur a été sommé de fermer sa bouche. Macron s'est contenté d'une formule ubuesque sur la "république inaltérable". Sous la critique, il a d'abord "puni" Benalla avec une mise à l'écart de 15 jours (à titre de comparaison : il y a une semaine, deux jeunes qui ont violenté plusieurs policiers ont pris 3 et 4 ans ferme, sans procès sérieux). Puis, devant le choc médiatique, il a commandé une procédure pour le licencier. Benalla, et peut-être Collomb, seront les fusibles de l'histoire. Mais la faiblesse de la réaction de la présidence équivaut à une caution, et tous comptes faits, c'est aussi problématique que les actes mis en cause.

Ensuite cette affaire révèle (ou rappelle) l'existence de nervis au service du pouvoir. Depuis le 1er mai, la présidence était au courant des violences de Benalla, qui pourtant était resté dans ses fonctions, toujours logé dans une dépendance de l’Élysée. 
Ce type de personnage n'est pas nouveau dans l'entourage de l'Elysée. Pas de doute, on est en France, le pays de la Françafrique, d'une corruption et d'une barbouzerie voulue par De Gaulle et organisée pour sauvegarder les intérêts coloniaux — comme l'a magistralement démontré SurvieLe pays du Service d'Action Civique (SAC), police parallèle, et du Groupe union défense (GUD), milice fasciste, deux organisations au service des présidences qui ont formé de nombreux dinosaures de la politique. Le pays de Foccart, Pasqua, Longuet, Madelin, Chirac, professionnels du coup tordu qui ont imprimé leur marque sur les mécanismes gouvernementaux. Le pays de la répression d'opposants et des assassinats politiques (en l'absence de caméras), du Rainbow Warrior, des élections truquées en Afrique et des putsch soutenus par Paris. Le pays des records de ventes d'armes, des guerres du pétrole et des essais nucléaires en Polynésie. Le pays des mercenaires envoyés pour "orienter" les conflits en Algérie, en Nouvelle Calédonie, en Côte d'Ivoire, au Vietnam, au nom de la grândeur et des intérêts français. 
Le pays de l'affaire des diamants, des "biens mal acquis", des scandales EADS, L'oréal, du fric lybien et du financement des partis. 
A chaque mandat de la 5ème république, la corruption étatique a pu exister grâce à des hommes prêts à tout et bien protégés, et grâce à des cellules secrètes qui disposent de moyens financiers illimitésSi les nervis de la république peuvent faire le coup de poing en dehors des contraintes légales, au mépris de toute considération éthique, des libertés et des droits humains, sans craindre l'IGS et la hiérarchie, c'est parce que le pouvoir est prêt à TOUT pour se maintenir en place.

Même s'ils sont graves, ce ne sont pas les actes de violence du 1er mai qui m'ont "frappé" le plus, c'est ce que révèle une telle affaire — la marge d'action que se permettent nos gouvernements pour écraser l'opposition, au-delà de tout mandat. C'est la raison d'Etat, ce masque constitué d'éléments de langage et de relais médiatiques (comme ce salopard de Charles Beigbeder, homme d'affaires et élu, pour qui il est normal de risquer sa vie lorsqu'on désobéit à un représentant de l'ordre, et que "cela doit redevenir la norme en France !"). La raison d'état permet les pires exactions, avec une propagande pour justifier l'injustifiable.

Si on prête l'oreille et si davantage de journalistes font leur boulot de journalistes, on entend beaucoup d'histoires comme celle de Benalla. Des histoires avec des tabassages couverts par la "légitime défense", des "accidents" en Garde à vue, des morts étouffés sous les genoux des flics, des yeux éclatés sous les flash-balls, des refus de plaintes et des témoins réduits au silence. C'est pas les témoignages qui manquent, et il y a déjà suffisamment de sources médiatiques pour en faire l'écho.


(*) Si Remi Fraisse ou Adama Traoré — pour qui la marche qui a lieu aujourd'hui à Beaumont-sur-Oise réclame la mémoire et la justice — sont devenus de malheureux symboles, ne fermons pas les yeux sur les autres violences policières. Violences criminelles envers les marginaux, envers les sans-papiers, persécutions arbitraires dans les centres de rétentions, sort des famille de réfugiés dont on bousille les tentes et écrase les affaires, coups insultes envers les témoins, suspicion généralisée envers les gens à la peau pas assez blanche.

14 juillet 2018

Dans les médias & la pub, de quoi la coupe afro est-elle la marque ?

Les noirs [1], les personnes perçues comme noires, ont longtemps été sujets de moqueries, de mépris, de peur, de fascination, de fantasmes. C'est ce qui arrive quand plusieurs groupes cohabitent, l’ignorance générant toujours des préjugés et des caricatures. Puis en l’espace de quelques décennies, les noirs ont vu évoluer la façon dont on les représentait. Il a fallu pour cela qu’ils luttent pour leur existence sociale, pour défendre leurs droits, et qu'ils valorisent auprès des autres le regard qu'ils portaient sur eux-mêmes.[2]

Pourtant, les représentations des noirs, dans la pub et la com’, restent très codifiées. La coupe afro est, désormais, à peu près acquise dans la sphère médiatique et publicitaire. Or depuis quelques années, je constate qu'elle est devenue une norme de représentation des noirs dans la sphère marchande... et que cette norme révèle des stéréotypes sans doute hérités du colonialisme.

*  *  *  *  * 

Les années 50 et 60 ont vu naître les mouvements pour les droits civiques, en même temps que la culture populaire des communautés noires américaines : soul, Blaxploitation, littérature. La coupe afro, sous ses multiples variantes, s'est imposée pour affirmer les origines africaines et la rupture avec les conventions imposées par le monde blanc. L’afro était un signe politique avant tout, comme l'explique Lisa Akinyi May. Et aujourd’hui ?
Naomi Campbell, modèle des années 90, et Tina Kunakey, modèle des années 2010

La coupe afro est soluble dans le capitalisme.

Aujourd’hui, le monde marchand (pub, com’, mode, industries culturelles) prend soin d’afficher une image de diversité culturelle : les gens issus de l’immigration sont aussi des consommateurs, comme le remarque le blogueur Cyclone Wolfok : « La minorité visible qu’est l’afro-descendance en France fait partie désormais des publics cibles et sa représentativité en politique comme en télévision augmente elle aussi. Elle élit et elle consomme comme tout le monde... ». Mais comment montrer, dans la pub, celles et ceux que le baromètre annuel du CSA sur la diversité à la télé appelle les « personnes perçues comme non blanches » ? Comment les montrer sans donner dans le United Colors de Benetton — et sans froisser ce public frileux pour qui les « personnes de couleur » sont encore associées à l’étrangeté et au danger ? Comme l'ont écrit Kidi Bebey et Alex Ndiaye à l’adresse des journalistes, « il faut en finir avec les images d’Épinal. Les Africains ne sont pas tous des broussards perdus en ville, des analphabètes accros au football, des femmes subissant la polygamie(...). Ils achètent des gadgets technologiques pour épater les copains et ont parfois du mal, comme tout le monde, à rembourser leurs crédits revolving... ». Les pubards ont enfin compris qu’on ne peut plus représenter les noirs comme il y a 30 ans, mais sous l’aspect rassurant des consommateurs modèles.

Et la coupe afro là-dedans ? Alors que, dans l'imaginaire collectif, elle reste un signe de révolte politique incarnée par Angela Davis, elle est généralisée aujourd’hui pour représenter le glamour et le cool. Comme chez "Domino", l’héroïne Marvel aux côtés de Deadpool dans sa version cinéma (qui est blanche dans la version BD), ou chez Solange Knowles, chanteuse et mannequin.

L'afro est devenue l’expression d’une intégration à la société consumériste par la musique et la mode ; elle évoque l’audace, la séduction, le groove, la nature humaine indomptée, et tout ça est très vendeur.
En France, Inna Modja, chanteuse pop world-afro-soul et égérie publicitaire, incarne parfaitement cette tendance. Comme Nneka ou Ayo, chanteuses aux « origines métissées » comme dit le blog Artnoise.

Aujourd’hui on parle aussi de nappy. Comme souvent quand les minorités se réapproprient le vocabulaire dévalorisant qui le désignait, le mot péjoratif nappy, qui signifiait "crépu", est désormais perçu comme une contraction de natural & happy. Le concept nappy a accompagné le développement du l’ethnomarketing destiné aux nappy girls et les défilés de mode actuels font la part belle aux nappy-mannequins. La presse féminine « noire » et les blogs spécialisés, comme Nappturallity, ont joué un rôle important pour donner une visibilité aux variantes d’afro : conseils cosmétiques et mode, adresses, tuto pour les twist-out, tresses, effets de textures ou carrément big chop. Un salon Nappy days s’est tenu en 2016 — très « fashionista » selon le Monde — et il existe même une appli qui organise la coiffure à domicile, Nappy me !
En résumé, la coupe afro véhicule aujourd’hui la double image de la révolte et du consumérisme glamour : une image doublement attrayante.

Les communicants, qui pensent en termes d’image de marque et de rentabilité, ont trouvé là une recette idéale : 1. montrer des femmes noires (parce qu’évidemment elles paraissent moins inquiétantes et plus séduisantes que les hommes) ; 2. les choisir avec une nappy, gage d’intégration sociale. C’est pourquoi on voit tant de publicités avec de beaux noirs et souriants — ou plutôt de belles noires souriantes, jeunes, modernes, et avec une afro. Et puis, noir... mais pas trop foncé.
Publicités et de supports commerciaux : Unibet, 2017 ; Hellobank (2 fois) ; FNAC, 2018 ; Orpi, 2016 ; Mairie de Paris, 2018 ; Sup de pub ; Century 21 ; Corner Job, 2016 ; Syma, 2015 ; Tati, 2018 ; Amazon music, 2018 ; Avantoo 2017 et Monabanq 2016, banques en ligne ; BNP ; Lidl, 2017 ; couverture du mensuel Causette, 2017 ; Cité des sciences et de l'industrie, 2017 ; Taxi G7, 2017 ; Grand Optical, 2018 ; Made.com, 2017 ; couvertures du Parisien magazine, 2017 ; de Elle, 2016 ; de Grazia (avec Tina Kunakey), 2018 ; de Marie-Claire, 2014 ; de Cosmopolitain, 2018 ; Ouicar, 2018 ; Perrier, 2016 ; école ISG, 2018 ; annonce de recrutement au Crédit agricole , 2017 ; de "Team Chambé", 2015 ; de RegionsJob, 2018 ; Swatch ; Western Union, 2016 ; Words Ads, 2018 ; Lycamobile ; dentifrice Signal, 2018 ; Colis Privé, 2017 ; Bouygues, 2015 et 2017 ; Asos, 2018 ; Serena Fitness ; Krys, 2014 ; Carrefour pour l'emploi, 2018 ; Asos, 2017

28 mai 2018

Fête de la musique à l'Élysée : les limites d'une stratégie de com'

Quand le Canard enchaîné de cette semaine épingle la méthode des Macron pour paufiner leur image de modernité, on rigole de tant d'ironie. Surtout quand, lors de l'événement, le président est taclé de manière subliminale (et sublime) !
Les services de com' au service de la présidence fonctionnent, il est vrai, à plein rendement, mais... les écrans de fumée ne durent que le temps d'une évaporation.


Le couple présidentiel sait se montrer attractif, compétitif en faveur d'un électorat progressiste — enfin, progressiste seulement pour ce qui concerne les préférences sexuelles. Cela ne fait pas oublier l'action du gouvernement (*) en faveur des riches, au détriment de la justice sociale, et la monstruosité de sa politique envers toutes les victimes du capitalisme.

* : "il n'y pas de stratégie de com' pour un président de la république, il est action et rien d'autre", disait Bruno Roger-Petit, le porte-parole de la présidence : c'est pas un beau slogan ça ?

11 mai 2018

nouvelles marques aux noms anglais, pour séduire les français ?


Ouigo, Ouibus, filiales de la SNCF de voyage en low-cost,
Mouvit, appli "DigitalSNCF" de la SN
CF pour trouver le plus court et le moins cher des trajets
Ouicar, réseau de locations de voitures entre particuliers,
Ouiz, aromatiseur d'eau,
Ouiteam, "plateforme intra-groupe de référence de gestion des détachements pour des missions de courte et moyenne durées",
OuiShare Fest, festival international de l'économie collaborative,
Blablacar, réseau de covoiturage payant,
Smovengo, opérateur du système parisien de vélos en libre-service
Liligo, "comparateur de vols pas chers"
Myfood, serre bio connectée
YesWeGreen, "plateforme numérique et collaborative pour créer la communauté du 21e siècle", vers un greenlifestyle
Monabee, "Solution Intelligente" de Gestion des énergies,
WeDemain, revue qui veut "contribuer au décodage des bouleversements en cours"
HelloBank, BforBank, banques en ligne,
Avantoo, banque mobile du Crédit mutuel,
Mouvango, label de fidélisation interentreprises lancé par Accor
Ouimoov, fournisseur d'articles de sport,
Wistiki, "tracker Bluetooth qui vous permet de retrouver tout ce qui vous tient à coeur" : "clés, portefeuille, smartphone, animal de compagnie"...
Ubeeqo, entreprise de location des voitures.
Cowash, service à domicile pour laver le linge
Wimoov, association pour l'accompagnement à la mobilité des demandeurs d'emploi.
Kibookin : réseau social créé par le Salon du livre et de la presse jeunesse du 93, qui réunit une communauté autour de la littérature jeunesse.
CotizUp : cagnotte en ligne
Wipliz : cagnotte en ligne


Des marques à base de mots anglais simples. Des noms où reviennent souvent "We" qui a l'avantage d'évoquer "oui" et "nous"(ça c'est une trouvaille !), "move", "go" et autres symboles du bougisme.
C'est efficace, ça te rafraîchit la façade.
Rien de tel qu'un nom jeune et dynamique pour rafraîchir la façade d'une structure aussi rébarbative et chiante qu'une banque ou qu'une société d'expertise.

Il faut le savoir : il existe des entreprises dont la seule mission est de trouver des noms de marques. Et il faut savoir que ces entreprises-là sont parfois très prospères.

Faut que je pense à me reconvertir, moi.

4 mai 2018

Titres de films traduits en anglais : l'exercice du langage colonial

Affiche du film "Nobody knows"
Vous avez déjà remarqué, quand les titres de films étrangers sont traduits par un titre ANGLAIS pour le public FRANÇAIS ?
Mais oui... par exemple :
 
- Asghar Farhadi, après plusieurs films iraniens, réalise un film hispanique, où les acteurs parlent espagnol et le titre est Todos lo saben
En France, le titre a été traduit par… Everybody knows.

- Fatih Akin réalise un film allemand titré Aus Dem Nicht ("sorti de rien"). En France, le titre a été traduit par In the fade ("dans le flou").

- Ryusuke Hamaguchi réalise une série japonaise, Happî awâ — un titre qui joue sur la prononciation japonaise de Happy hour. En France, le titre a été traduit par Senses.
 
- la coréenne July Jung réalise un film dont le titre est le nom de son héroïne : Dohee-Ya. En France, le titre a été traduit par A girl at my door.
 
Encore plus absurde !
- le film de David O. Russell, Silver Lining Playbook, est traduit pour nous par Hapiness therapy ;

- Quand Steven Spielberg raconte un épisode historique du grand quotidien, le Washington Post, dans The Post, le titre qu'on choisit pour les petits français est… Pentagon papers !?


En 2010 déjà, le site Slate, s’interrogeant sur les raisons de ces choix, évoquait une logique de marketing. Bien sûr. Après tout, c'est cette logique qui règne dans l’ensemble du monde marchand, et que l’ARPP avait déjà dénoncée dans la publicité : Sony qui annonce « make believe », Nespresso, filiale de Nestlé, qui affiche « What else ? »... et Citroën qui ne craint pas le ridicule avec sa dernière campagne « Inspired by you depuis 1919 ».

L’anglais est la langue de la pop culture et du cinéma hollywoodien, la langue de l'industrie culturelle mondialisée, la langue diffusée par le plan Marshall. L'usage de la langue anglais dans tous les secteurs de la vie marchande s'est généralisé en même temps que les Etats-Unis sont devenus une puissance économique majeure.
Pour des francophones, l'anglais bénéficie de cette aura de la réussite. Utiliser l’anglais pour distribuer un film ou une pub, c'est se ranger du côté du pouvoir culturel : entretenir l’image de la modernité, de la force et du cool.
On ne va quand même pas s'abaisser à utiliser des pauvres mots français pour identifier un film étranger, non ? Vite, trouvons un titre anglais !

Mais si on se plaint de l'anglais qui s'impose aujourd'hui à la France, faisons un retour en arrière. Rappelons-nous comme le français s’est imposé en Afrique de l’ouest et en Asie du sud-est, l'espagnol en Amérique du sud, l'arabe en Afrique subsaharienne ; comme le mandarin s’impose jusqu’en Afrique du sud ou le russe en Ukraine. Nous sommes toujours le colonisé d'une autre puissance et le colonisateur d'un autre territoire.

En faisant comme pour n’importe quel produit à marketer, les distributeurs de films pour la France intègrent l'idée que les titres en français sonnent mal : cela exprime seulement un complexe de peuple colonisé. Traduire un titre en français ne rend pas le film plus ringard ni plus classe qu'avec une autre langue, c'est juste un acte de réappropriation du langage. Il faudrait que les distributeurs aient en tête que la supériorité d'Hollywood sur le cinéma mondial, c'est un mythe : si ils ne craignaient pas que le français soit perçu comme moins attractif, ils laisseraient simplement tomber l’anglais.

Il ne s'agit pas de chauvinisme et encore moins de nationalisme, mais de conscience de nos cultures. Aucune n'est meilleure qu'une autre, mais elles existent. À chaque peuple de se réapproprier sa langue pour mieux entrevoir sa propre richesse culturelle, au lieu de la brader aux puissances économiques colonisatrices. A chacun de résister au pouvoir du monde marchand...

26 avril 2018

Pourquoi la "floraison synthétique" est le motif graphique du moment


Ce 22 avril Facebook fêtait la Journée de la Terre, avec un visuel dans l'air du temps : motifs végétaux enfantins, aplats de couleurs, formes simples et attrayantes, bio, safe, friendly.
Pourquoi et comment ce motif graphique a-t-il pénétré tout le graphisme marchand : affiches de festival, pub, industries culturelles ?

Dans les courants picturaux, il y a des créateurs qui orientent nos intérêts et nos mentalités, et des suiveurs qui imitent "ce qui marche déjà". Les années précédentes ont été dominées par les motifs géométriques à facettes, hérités de Georges Braque, Piet Mondrian, Sonia Delaunay ou Victor Vasarely.
J'en parlais dans un article daté de 2016 et mis à jour en 2018.

Quand le site Konbini publie, comme chaque année, "les plus belles affiches de festival", on peut se faire une idée des tendances actuelles, qui sont partagées dans toute l'Europe. Mais comment naissent-elles, et avec quelles influences ?
La tendance "motifs géométriques à facettes" s'essouffle, sans doute trop exploitée. Les concepteurs d'affiches de festivals culturels et de clips, surfant sur la vague du greenwashing, doivent évoquer l'idée du naturel et du sauvage. Ils ont surtout compris que pour nous, êtres bornés par les règles de la cité, évoluant dans des espaces aussi géométriques qu'une cuisine équipée Ikéa, il est vital d'exprimer nos aspirations animales. Ils nous proposent donc de nous échapper dans des forêts, des jungles et parmi les animaux sauvages. L'usage des "motifs à floraison synthétique" explose.

Or dans l'ensemble du monde marchand (pub, clips, industrie culturelle), il y a toujours une limite, on ne peut pas tout représenter : impossible d'évoquer l'aspect bassement naturel de la nature, la moiteur, l'humus, la pluie boueuse, les moisissures, les miasmes végétaux, les odeurs animales, les muqueuses, le sang, la salive, la maladie, l'enfantement ou le vieillissement. Notre timidité sanitaire de consommateurs trop urbanisés nous pousse vers une nature rassurante, douce, enfantine, stylisée.

On retrouve donc ces motifs sympa, dans les affiches de festivals culturels, la pub, les visuels des jeux et des applis pour tablettes. Avec des forêts et des animaux tirés d'albums pour enfants — et avec, de façon inexplicable, certains objets récurrents : le palmier, le perroquet, le tigre.

Hoop festival, 2017. Hors-tension, 2017. Rock en Seine, 2015. 2 affiches du Hasard ludique, 2017.
Démon d'or, 2016. Pete the Monkey, 2016 et 2017. Zoolt, festival d'Olt, 2015.
Tropisme, 2016. Décibulles, 2017. RDV aux jardins, 2017, 2016 et 2013, (le motif géométrique était encore présent). Paris plages, 2017. Deux visuels de l'agence Kibling. Papillons de nuit, 2015. Musiques métisses, 2017. Nuits secrètes, 2016.

7 avril 2018

"Lexique pour temps de grèves et de manifestations" d'Acrimed

Période de grosse propagande oblige, Acrimed (Action-Critique-Médias) réédite son lexique de "pédagogie gouvernementale". Assez drôle, ça montre l'aspect systématique de certains termes ('réforme', 'modernisation', 'apaisement', 'concertation', mais aussi 'crispations', 'grogne' ou 'opinion publique') utilisés par les dirigeants et relayés par certains médias.


C'est ici : Lexique pour temps de grèves et de manifestations


20 février 2018

Jean-Michel Blanquer est-il un reptilien ?

Dans sa récente Une, l'Express dévoile la véritable nature de notre ministre de l'Éducation Nationale !



A gauche, Jean-Michel Blanquer tel qu'il se laisse photographier. À droite, on voit très bien sa nature reptilienne. De quoi nous donner une preuve de plus que les dominants de notre planète sont issus de cette race d'élite qui organise un complot pour asservir l'humanité.

Francis, le jeune saurien qui s'occupe du maquillage de la section "reptiliens macronistes" a carrément raté son camouflage.

(Pour garder les épaules sur terre : http://www.conspiracywatch.info/)

11 février 2018

Jacques-Henri Michot : l'arme lourde pour détruire le langage marchand

Depuis plusieurs années j'ai pris l'habitude de compiler des expressions issues de ce que j'appelle le "langage marchand" : des expressions conçues par et pour les publicitaires, souvent dépourvues de sens mais liées aux suggestions, aux désirs. Des expressions utilisées par les médias et les communicants politiques.

Ce langage est constitué :
- de concepts venus des idéologies néolibérales ;
- d'éléments de langage, que les salariés du commerce et de la com' sont sommés de maîtriser ;
- de mots anglais donnant une idée vague mais moderne, et qu'on préfère au français pourtant mieux compris ;
- de termes utilisés pour parler des minorités quand on n'ose pas les qualifier ;
- d'oxymores — constitués d'un mot positif associé à un mot contraignant.

Et pour qualifier le noms de certains emplois professionnels, on accole plusieurs termes en supprimant les conjonctions et les prépositions, ce qui rend ces emplois imprécis et moins protecteurs pour les salariés...

outil de campagne pour 
François Fillon
Ce langage formate notre façon de penser — ou de ne pas penser — aussi sûrement qu'une novlangue. Il révèle la logique marchande, la logique mensongère et le mépris social. Exemple parfait : la SNCF qui, pour moderniser son image, crée un nouveau discours, renomme ses prestations et impose un nouveau nom pour "gare" ou pour "contrôleur"... Un choix parfaitement assumé par Guillaume "la voix de son maître" Pépy.

Il me paraît indispensable de révéler ce langage marchand pour mieux le détruire, et pour redonner du sens au langage qui est le nôtre : notre langage en perpétuelle évolution, encyclopédique ou fait d'influences argotiques. Notre langage, qui échappe au contrôle des institutions, du commerce et de la politique.
J'ai nommé cette liste "mots et expressions à bannir", en voilà un aperçu :


...


Et puis je suis allé voir "EN SUSPENS", la dernière exposition du BAL, une galerie à Paris, 17ème. On y tente de "traduire quelque chose de notre temps", dit Diane Dufour, commissaire de l'expo.
Parmi les artistes exposés, il y avait Jacques-Henri Michot dont j'ai découvert l'ABC de la barbarie à travers une présentation d'extraits. Ce bouquin propose "un recensement des lieux communs qui ponctuent le langage journalistique comme autant de slogans affirmatifs, et qui finissent par infiltrer, à notre insu, le langage", il "décrypte avec une vive précision la langue des médias, étudie son fonctionnement et l’impact propagandiste qu’elle peut avoir sur les gens".











Voilà l'écho parfait à ma compilation personnelle : Michot a défriché, étudié le langage marchand pour en démonter la logique. Il a poussé l'idée avec une immense ironie et un talent d'observation, et le résultat nous donne le vertige : ces expressions vides de sens, surexploitées aveuglément et sans distance par les journalistes, illustrent une manière formatée d'envisager le monde, les relations humaines et même la morale.

Ajustements structurels
Aventuriers des temps modernes
Bavures
Berceaux de la culture occidentale
Bourrasques monétaires
Cercles proches du pouvoir
Coups médiatiques
Créatures de rêves
Crises d'identité
Déçus du socialisme
Dépassement de soi
Difficiles apprentissages de la démocratie
Etrangers en situation irrégulière
Exportations de matière grise
Faits marquants de l'actualité
Fine fleur du monde de la finance
France profonde
Maîtres à penser
Majorité silencieuse
Masturbation intellectuelle
Oubliés de la croissance
Pays des droits de l'Homme
Urbanisations sauvages
Usines à rêves

Cette liste est un reflet de nos routines : il est grinçant mais salutaire !

Un ABC de la barbarie, de Jacques-Henri Michot, éd. Al Dante, 2014 (première édition, 1998)