4 mai 2018

Titres de films traduits en anglais : l'exercice du langage colonial

Affiche du film "Nobody knows"
Vous avez déjà remarqué, quand les titres de films étrangers sont traduits par un titre ANGLAIS pour le public FRANÇAIS ?
Mais oui... par exemple :
 
- Asghar Farhadi, après plusieurs films iraniens, réalise un film hispanique, où les acteurs parlent espagnol et le titre est Todos lo saben
En France, le titre a été traduit par… Everybody knows.

- Fatih Akin réalise un film allemand titré Aus Dem Nicht ("sorti de rien"). En France, le titre a été traduit par In the fade ("dans le flou").

- Ryusuke Hamaguchi réalise une série japonaise, Happî awâ — un titre qui joue sur la prononciation japonaise de Happy hour. En France, le titre a été traduit par Senses.
 
- la coréenne July Jung réalise un film dont le titre est le nom de son héroïne : Dohee-Ya. En France, le titre a été traduit par A girl at my door.
 
Encore plus absurde !
- le film de David O. Russell, Silver Lining Playbook, est traduit pour nous par Hapiness therapy ;

- Quand Steven Spielberg raconte un épisode historique du grand quotidien, le Washington Post, dans The Post, le titre qu'on choisit pour les petits français est… Pentagon papers !?


En 2010 déjà, le site Slate, s’interrogeant sur les raisons de ces choix, évoquait une logique de marketing. Bien sûr. Après tout, c'est cette logique qui règne dans l’ensemble du monde marchand, et que l’ARPP avait déjà dénoncée dans la publicité : Sony qui annonce « make believe », Nespresso, filiale de Nestlé, qui affiche « What else ? »... et Citroën qui ne craint pas le ridicule avec sa dernière campagne « Inspired by you depuis 1919 ».

L’anglais est la langue de la pop culture et du cinéma hollywoodien, la langue de l'industrie culturelle mondialisée, la langue diffusée par le plan Marshall. L'usage de la langue anglais dans tous les secteurs de la vie marchande s'est généralisé en même temps que les Etats-Unis sont devenus une puissance économique majeure.
Pour des francophones, l'anglais bénéficie de cette aura de la réussite. Utiliser l’anglais pour distribuer un film ou une pub, c'est se ranger du côté du pouvoir culturel : entretenir l’image de la modernité, de la force et du cool.
On ne va quand même pas s'abaisser à utiliser des pauvres mots français pour identifier un film étranger, non ? Vite, trouvons un titre anglais !

Mais si on se plaint de l'anglais qui s'impose aujourd'hui à la France, faisons un retour en arrière. Rappelons-nous comme le français s’est imposé en Afrique de l’ouest et en Asie du sud-est, l'espagnol en Amérique du sud, l'arabe en Afrique subsaharienne ; comme le mandarin s’impose jusqu’en Afrique du sud ou le russe en Ukraine. Nous sommes toujours le colonisé d'une autre puissance et le colonisateur d'un autre territoire.

En faisant comme pour n’importe quel produit à marketer, les distributeurs de films pour la France intègrent l'idée que les titres en français sonnent mal : cela exprime seulement un complexe de peuple colonisé. Traduire un titre en français ne rend pas le film plus ringard ni plus classe qu'avec une autre langue, c'est juste un acte de réappropriation du langage. Il faudrait que les distributeurs aient en tête que la supériorité d'Hollywood sur le cinéma mondial, c'est un mythe : si ils ne craignaient pas que le français soit perçu comme moins attractif, ils laisseraient simplement tomber l’anglais.

Il ne s'agit pas de chauvinisme et encore moins de nationalisme, mais de conscience de nos cultures. Aucune n'est meilleure qu'une autre, mais elles existent. À chaque peuple de se réapproprier sa langue pour mieux entrevoir sa propre richesse culturelle, au lieu de la brader aux puissances économiques colonisatrices. A chacun de résister au pouvoir du monde marchand...

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