12 janvier 2011

Régie autonome des transports pouétiques

2011, nouvelle campagne de la régie des transports parisiens pour souhaiter "une année pleine de poésie" aux usagers. Loin de moi l'idée de faire du mauvais esprit en spéculant sur le prix de cette campagne — payée par ces usagers, qui doivent compenser le manque à gagner de l'absence de pub sur ces "mobiliers urbains" de Métrobus — ce serait mesquin.
Je ne dirai donc rien de l'aspect financier : ce sont les messages placardés qui me font réagir.
On voit, sur un fond blanc, des bulles de couleur vives et des petits personnages ultra stylisés : on est chez les Barbapapa. Dans les plus grandes bulles, les "voeux de la RATP", sous forme de petites phrases issues de poèmes d'auteurs célèbres.





Ainsi, on trouve, sortie de leur contexte, deux vers de René Char :
"Si nous ne dormons pas c’est pour guetter l’aurore
Qui prouvera qu’enfin nous visons au présent...
"

Desnos écrit "Demain" en 1942, un poème qui parle de l'espoir qui anime les résistants, dont il était (il mourra en camp). Voici les vers qui précèdent les voeux de la Ératépé :
"Nous veillons, nous gardons la lumière et le feu,
Nous parlons à voix basse et nous tendons l’oreille
A maint bruit vite éteint et perdu comme au jeu.
Or, du fond de la nuit, nous témoignons encore
De la splendeur du jour et de tous ses présents
."

A mon avis, Desnos avait d'autres préoccupations que d''exhorter les usagers à "vivre au présent", "à 200%" comme disent les GO. En fait, on ne sait pas trop, en passant devant ces affiches, ce que signifie "vivre au présent" si ce n'est l'injonction chérie par nos adolescents, carpe diem.

Ailleurs on lit ça :
"Impose ta chance, serre ton bonheur et va vers ton risque. A te regarder, ils s'habitueront."
Cette phrase de René Char est celle d'un homme qui impose sa sensibilité et sa force, elle appelle à s'affirmer, à s'épanouir. Sauf qu'aujourd'hui, on pourrait croire à un slogan UMPiste pour encourager l'entreprise. "Saisis ta chance, prends des risques, be yourself, impose ta marque". La phrase, bien tournée, se noie dans le consensus du bougisme individualiste, et ressemble à la devise d'une école de commerce.

Tout comme celle de Robert Sabatier :
"Puisque les lendemains sont toujours remis au lendemain,
inventons un aujourd'hui qui chante
".
Ah, la candeur des types qui ont choisi les textes à afficher. Franchement, il y a eu un brainstorming pour savoir quel poète citer, quels phrase extraire ?

Il y a aussi celle de William Blake, qui, sorti du poème tourmenté "proverbes de l'Enfer", perd ici toute sa force :
"Voir le monde dans un grain de sable,
Et un ciel dans une fleur sauvage
Tenir l’infini dans le creux de la main
Et l’éternité dans une heure.
"
On s'approche davantage des paroles d'une chanson écrite pour Liane Foly par Gérard Presgurvic, ou bien des notes que ma petite soeur recopiait dans ses marges, quand elle était au collège... Il n'y a qu'à lire Blake pour comprendre que lui aussi, comme Desnos ou Char, ont été dévoyés par la Ératépé.

Qu'est-ce que la poésie ? un divertissement destiné à rendre le paysage urbain plus fun ?


Il y a 2 ans, la Ératépé avait lancé une autre initiative d'une haute portée culturelle : un concours de poésie par SMS. "un regard - un SMS" ça s'appelait, et les participants devaient envoyer la description d'un regard par SMS.

Tout est bon pour que la régie des transports se forge une image "sympa et proche de vous". J'imagine que pour les communicants, il s'agissait de "valoriser la synergie entre l'entreprise et les clients", de façon à ce que ceux-ci "investissent affectivement l'action de l'entreprise".

Le but est-il atteint ? Avec l'investissement que représente ce genre de campagne, on peut le souhaiter à la Ératépé...

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