30 novembre 2016

le code graphique du moment : le motif géométrique à facettes

C'est sans doute le visuel le plus tendance de ces dernières années : la surface géométrique à facettes. Adopté par les communicants, les stylistes, les labels musicaux, les concepteurs d'affiches, il est omniprésent dans tout l'espace public.


Tenter de comprendre ce que disent les codes graphiques des aspirations collectives est passionnant. Surtout quand ils sont utilisés en masse par tant de communicants.

Utiliser ce visuel "à facettes", c'est faire référence (sciemment, ou bien en imitant des graphistes actuels) des peintres comme Delaunay, Mondrian, Vasarely, Kupka...
Des artistes qui jouaient de la proximité des couleurs, de leur diffraction, de leur superpositions, générant un trouble de la perception. Moments hypnotiques, pertes de contrôle.
Ci-contre : Theo van Doesburg : Contre-composition, 1929. Cette oeuvre s'inscrit dans le mouvement De Stijl, un mouvement qui a révolutionné l'art du début du XXè siècle.
1. Mondrian : Composition en bleu, gris et rose, 1913.
2. Sonia Delaunay : Prismes Électriques, 1914.
3. Vasarely, Duo, 1967



Tel qu'il est utilisé aujourd'hui, ce motif graphique évoque toujours un léger dérèglement des sens, une conscience modifiée comme l'art psychédélique d'il y a 50 ans. Mais c'est ici une version numérisée ; et la précision géométrique révèle une construction rassurante, planifiée comme un origami ou un projet d'architecte.

Ce motif ressemble à ceux des schémas moléculaires.
Surtout, il évoque le diamant, ou la boule à facettes. Bref, il évoque la beauté brillante et hypnotique de la vie nocturne des villes. C'est en tout cas ce que j'ai perçu jusqu'ici, avant que je tente de le formuler.


C'est Stromae qui a joué à fond avec ces motifs, assumant le côté perturbant de la répétition hypnotique... Et la marque de vêtements que le chanteur a créée propose ces motifs imprimés.

Plus récemment le groupe PNL a usé de ce motif, mais avec l'idée du mystère cabalistique : constellations, symboles, signes numériques...
Les deux artistes du groupe apparaissent au centre, comme pour s'inscrire "dans la légende" (le titre de leur disque)...






Un peu partout on retrouve ce goût pour les motifs géométriques à facettes. Très prisé chez les hipsters bien sûr. Publicité, mode, graphisme, art décoratifs et déco intérieure... Idem dans la création d'imprimés pour du matériel de bureau ou pour la déco.
1. Panda, tableau conçu par Rea Marisa Prints.
2. Logo et productions des designers chez "Papier Tigre"

On sait que les communicants sont tentés de recycler un type de graphisme qui fonctionne. Mais ce qui étonne et qui exaspère, c'est ce réflexe de Panurge des graphistes, qui les pousse à reproduire les mêmes motifs, sans prise de risques, juste parce que "ça se fait ailleurs".
Ce suivisme nous impose des kilomètres de panneaux publicitaires, d'affiches, de flyers, de pages web, enrobés du même type de packaging.

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MISE A JOUR en avril 2018.

La tendance du "motif géométrique à facettes" est encore vivace, les agences de création graphique surfant toujours sur la vague. 
La designeuse Claire Pinatel l'avait finement remarqué en 2014 : "Dans le vent depuis 2012, la tendance géométrique et typographique dans le graphisme a visiblement envie de prendre vraiment son envol pour cette année 2014..."

1. Festival 100%, 2011.
2. Festival Tropisme, 2017.
3. Festival du court-métrage 2017
Ici, on voit comment, en 2011, le festival 100% à Montpellier citait clairement Delaunay ou Kupka. Renommé "Tropisme", ce festival revisite toujours cette période pour les plus récentes éditions. Et avec sa magnifique affiche pour le dernier Festival du court-métrage à Clermont-Ferrand, Riccardo Guasco nous invite aussi à un petit tour dans la 1ère moitié du XXè siècle.
Des agences telles que Des Signes, à Paris, spécialisées dans les commandes pour le ministère de la Culrure (Journées européennes du patrimoine, Nuit européennes des musées, Rendez-vous aux Jardins), s'inscrivent consciencieusement dans la tendance. Tout comme Mathieu Hubert, Parallele graphique, ou Superscript² (qui a réalisé des affiches aux visuels très similaires pour les festival Bazr 2015, les Inrocks 2016 ou les Nuits sonores 2017)... 

1. Festival Variation, à Nantes, 2018 (conception : Notter Vignes)
2. Music Village, les Arcs, 2014 (conception : agence Cartel).
3. Festival Résonances, Est-Ensemble 2015.
4. festival du cinéma brésilien 2018 (conception Agence Matchless)

Comme les affiches ci-dessus, le visuel pour l'année France-Colombie dévoile une recette simple.

Donc, si tu veux faire une affiche pour mettre un pays à l'honneur, prends les couleurs du drapeau, fais-en une composition avec des facettes en formes de triangles. Voilà.
Pour une région, une ville, facile : choisis les couleurs évoquées par le lieu. Beige pour le sable, bleu pour l'eau, etc.

1. Nuits sonores, Lyon 2017.     2. Festival BAZR, Sète, 2015    3. Les Inrocks festival, 2015
Trois visuels semblables réalisés par Superscript, agence sollicitée par les institutions.

Les pouvoirs publics, dont le souci est surtout de séduire le plus grand nombre, recyclent le visuel "à facettes" dans leurs dernières publications :
1. Publication du ministère de l'enseignement supérieur, 2018.
2. Affiche pour les Journées du patrimoine, ministère de la Culture, 2017, par Atelier25
3. Affiche pour la Nuit européennes des musées, 2018




Le festival musical Jazz à la Villette, à la programmation pointue, a lui aussi adopté le fameux visuel — l'iceberg, qui se prête bien à ce motif.





Et donc voilà, ça fait 10 ans que les graphistes usent de ces mêmes motifs.
Voici une affiche pour le label Born Bad et son audacieux festival "On Ice". Le motif empruntait aux esthétiques mods, cabaret, rock n'roll, et c'était en 2009. Et voilà une autre affiche pour la Halle Papin, à Pantin, qui vient d'organiser une fête des commerces en mai 2018.





Je termine en citant un ouvrage daté de 2011, nommé "Graphisme en France 2010-2011, à l'épreuve du temps" et publié par le Centre national des arts plastiques. Il inaugurait l'usage intensif du motif à facettes qui, depuis, a envahi nos environnements graphiques. C'est l'Atelier 25 qui l'avait conçu, et leur site montre que cette agence est loin d'avoir abandonné le filon !

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Cf article "Codes sémiologiques et effets visuels dans le design graphique" sur le site d'Antoine Bardelli.

2 commentaires:

  1. 1. As-tu émis l'idée que peut-être l'inspiration de Stromae viendrait également des motifs des tissus africains ?
    2. "Très prisé chez les hipsters bien sûr." Super l'argument, ça veut dire quoi hipsters ? C'est quoi tes sources ? Pour un libertaire, je trouve ça bien simple comme étiquettage, et globalement bien léger comme argumentation. Et comme tu dis, ce genre de motifs se retrouve partout, de la déco intérieur gifi au packaging de luxe en passant par la mode, le graphisme etc. Donc les hispters, en fait, c'est la population entière ?

    En effet le motif géométrique est partout mais comme on a pu le voir dans les années 60 puis 70, c'est un effet de mode qui vient et revient, pas besoin d'affilier ça a un type de population en particulier, surtout quand cette catégorisation n'a aucune limite précise. Et puis le motif vichy des années 50 ? Le motif pied-de-poule des années 30 ? Merde les hipsters, c'est cons étaient déjà là !
    La question n'est pas qui utilisent ces motifs mais surtout comment la prolifération des images rendue possible par nos technologies contemporaines toujours plus productives, engagent forcément des modes visuelles beaucoup plus présentes et qui se renouvellent aussi plus rapidement. Et comme pour toutes les modes récupérées par la culture de masse, cela vient toujours au départ d'une/de culture.s alternative.s pour lesquelles ces choix esthétiques ont un sens bien précis.
    Lorsque Born Bad utilise ce genre de motifs pour ses affiches, il faut se tourner vers la culture mods pour en comprendre l'origine.
    Papier Tigre, on peut y voir une réinterprétation contemporaine du travail des artisans marbreurs.
    Etc, etc, etc
    C'est bien de se documenter un peu avant de faire un papier. Ça rend sont discours un peu plus crédible.

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  2. ce qui m'intéresse ici, ce n'est pas tant "ce qu'on peut voir" dans l'influence de celui ou celle qui use de ce type de motifs que la systématisation du procédé. Parce qu'il suffit que certains (hipsters sans doute, mais avant tout graphistes alternatifs tu as (peut-être) raison) aient rendu ce visuel suffisamment tendance pour que tout le monde l'utilise sans discernement et sans distance, graphistes attitrés des labels ou pubards de base.
    Je me suis trop peu documenté sans doute sur les origines de cette mode, mais ce dont on parle ici, c'est le manque de recherche et de curiosité, qui sévit chez la majorité des "créatifs". Et c'est le libertaire en moi que ça fait réagir.

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