14 juillet 2018

Dans les médias & la pub, de quoi la coupe afro est-elle la marque ?

Les noirs [1], les personnes perçues comme noires, ont longtemps été sujets de moqueries, de mépris, de peur, de fascination, de fantasmes. C'est ce qui arrive quand plusieurs groupes cohabitent, l’ignorance générant toujours des préjugés et des caricatures. Puis en l’espace de quelques décennies, les noirs ont vu évoluer la façon dont on les représentait. Il a fallu pour cela qu’ils luttent pour leur existence sociale, pour défendre leurs droits, et qu'ils valorisent auprès des autres le regard qu'ils portaient sur eux-mêmes.[2]

Pourtant, les représentations des noirs, dans la pub et la com’, restent très codifiées. La coupe afro est, désormais, à peu près acquise dans la sphère médiatique et publicitaire. Or depuis quelques années, je constate qu'elle est devenue une norme de représentation des noirs dans la sphère marchande... et que cette norme révèle des stéréotypes sans doute hérités du colonialisme.

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Les années 50 et 60 ont vu naître les mouvements pour les droits civiques, en même temps que la culture populaire des communautés noires américaines : soul, Blaxploitation, littérature. La coupe afro, sous ses multiples variantes, s'est imposée pour affirmer les origines africaines et la rupture avec les conventions imposées par le monde blanc. L’afro était un signe politique avant tout, comme l'explique Lisa Akinyi May. Et aujourd’hui ?
Naomi Campbell, modèle des années 90, et Tina Kunakey, modèle des années 2010

La coupe afro est soluble dans le capitalisme.

Aujourd’hui, le monde marchand (pub, com’, mode, industries culturelles) prend soin d’afficher une image de diversité culturelle : les gens issus de l’immigration sont aussi des consommateurs, comme le remarque le blogueur Cyclone Wolfok : « La minorité visible qu’est l’afro-descendance en France fait partie désormais des publics cibles et sa représentativité en politique comme en télévision augmente elle aussi. Elle élit et elle consomme comme tout le monde... ». Mais comment montrer, dans la pub, celles et ceux que le baromètre annuel du CSA sur la diversité à la télé appelle les « personnes perçues comme non blanches » ? Comment les montrer sans donner dans le United Colors de Benetton — et sans froisser ce public frileux pour qui les « personnes de couleur » sont encore associées à l’étrangeté et au danger ? Comme l'ont écrit Kidi Bebey et Alex Ndiaye à l’adresse des journalistes, « il faut en finir avec les images d’Épinal. Les Africains ne sont pas tous des broussards perdus en ville, des analphabètes accros au football, des femmes subissant la polygamie(...). Ils achètent des gadgets technologiques pour épater les copains et ont parfois du mal, comme tout le monde, à rembourser leurs crédits revolving... ». Les pubards ont enfin compris qu’on ne peut plus représenter les noirs comme il y a 30 ans, mais sous l’aspect rassurant des consommateurs modèles.

Et la coupe afro là-dedans ? Alors que, dans l'imaginaire collectif, elle reste un signe de révolte politique incarnée par Angela Davis, elle est généralisée aujourd’hui pour représenter le glamour et le cool. Comme chez "Domino", l’héroïne Marvel aux côtés de Deadpool dans sa version cinéma (qui est blanche dans la version BD), ou chez Solange Knowles, chanteuse et mannequin.

L'afro est devenue l’expression d’une intégration à la société consumériste par la musique et la mode ; elle évoque l’audace, la séduction, le groove, la nature humaine indomptée, et tout ça est très vendeur.
En France, Inna Modja, chanteuse pop world-afro-soul et égérie publicitaire, incarne parfaitement cette tendance. Comme Nneka ou Ayo, chanteuses aux « origines métissées » comme dit le blog Artnoise.

Aujourd’hui on parle aussi de nappy. Comme souvent quand les minorités se réapproprient le vocabulaire dévalorisant qui le désignait, le mot péjoratif nappy, qui signifiait "crépu", est désormais perçu comme une contraction de natural & happy. Le concept nappy a accompagné le développement du l’ethnomarketing destiné aux nappy girls et les défilés de mode actuels font la part belle aux nappy-mannequins. La presse féminine « noire » et les blogs spécialisés, comme Nappturallity, ont joué un rôle important pour donner une visibilité aux variantes d’afro : conseils cosmétiques et mode, adresses, tuto pour les twist-out, tresses, effets de textures ou carrément big chop. Un salon Nappy days s’est tenu en 2016 — très « fashionista » selon le Monde — et il existe même une appli qui organise la coiffure à domicile, Nappy me !
En résumé, la coupe afro véhicule aujourd’hui la double image de la révolte et du consumérisme glamour : une image doublement attrayante.

Les communicants, qui pensent en termes d’image de marque et de rentabilité, ont trouvé là une recette idéale : 1. montrer des femmes noires (parce qu’évidemment elles paraissent moins inquiétantes et plus séduisantes que les hommes) ; 2. les choisir avec une nappy, gage d’intégration sociale. C’est pourquoi on voit tant de publicités avec de beaux noirs et souriants — ou plutôt de belles noires souriantes, jeunes, modernes, et avec une afro. Et puis, noir... mais pas trop foncé.
Publicités et de supports commerciaux : Unibet, 2017 ; Hellobank (2 fois) ; FNAC, 2018 ; Orpi, 2016 ; Mairie de Paris, 2018 ; Sup de pub ; Century 21 ; Corner Job, 2016 ; Syma, 2015 ; Tati, 2018 ; Amazon music, 2018 ; Avantoo 2017 et Monabanq 2016, banques en ligne ; BNP ; Lidl, 2017 ; couverture du mensuel Causette, 2017 ; Cité des sciences et de l'industrie, 2017 ; Taxi G7, 2017 ; Grand Optical, 2018 ; Made.com, 2017 ; couvertures du Parisien magazine, 2017 ; de Elle, 2016 ; de Grazia (avec Tina Kunakey), 2018 ; de Marie-Claire, 2014 ; de Cosmopolitain, 2018 ; Ouicar, 2018 ; Perrier, 2016 ; école ISG, 2018 ; annonce de recrutement au Crédit agricole , 2017 ; de "Team Chambé", 2015 ; de RegionsJob, 2018 ; Swatch ; Western Union, 2016 ; Words Ads, 2018 ; Lycamobile ; dentifrice Signal, 2018 ; Colis Privé, 2017 ; Bouygues, 2015 et 2017 ; Asos, 2018 ; Serena Fitness ; Krys, 2014 ; Carrefour pour l'emploi, 2018 ; Asos, 2017