Pourtant, les représentations des noirs, dans la pub et la
com’, restent très codifiées. La coupe afro est, désormais, à peu près acquise dans la sphère médiatique et publicitaire. Or depuis quelques années, je constate qu'elle est devenue une norme de représentation des noirs
dans la sphère marchande... et que cette norme révèle des stéréotypes sans doute hérités du colonialisme.
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Les années 50 et 60 ont vu naître les mouvements pour les
droits civiques, en même temps que la culture populaire des communautés noires
américaines : soul, Blaxploitation, littérature. La coupe
afro, sous ses multiples variantes, s'est imposée pour affirmer les
origines africaines et la rupture avec les conventions imposées par le monde
blanc. L’afro était un signe politique avant tout, comme l'explique Lisa Akinyi May. Et aujourd’hui ?
La coupe afro est
soluble dans le capitalisme.
Aujourd’hui, le monde marchand (pub, com’, mode, industries
culturelles) prend soin d’afficher une image de diversité culturelle : les
gens issus de l’immigration sont aussi des consommateurs, comme le remarque le blogueur Cyclone Wolfok :
« La minorité visible qu’est
l’afro-descendance en France fait partie désormais des publics cibles et sa
représentativité en politique comme en télévision augmente elle aussi. Elle
élit et elle consomme comme tout le monde... ». Mais comment montrer,
dans la pub, celles et ceux que le baromètre annuel du CSA sur la diversité à la télé appelle les « personnes perçues comme non blanches » ? Comment les
montrer sans donner dans le United Colors de Benetton — et sans froisser ce
public frileux pour qui les « personnes de couleur » sont encore
associées à l’étrangeté et au danger ? Comme l'ont écrit Kidi Bebey et Alex Ndiaye à
l’adresse des journalistes, « il
faut en finir avec les images d’Épinal. Les Africains ne sont pas tous des
broussards perdus en ville, des analphabètes accros au football, des femmes
subissant la polygamie(...). Ils achètent des gadgets technologiques pour
épater les copains et ont parfois du mal, comme tout le monde, à rembourser
leurs crédits revolving... ». Les pubards ont enfin compris qu’on ne
peut plus représenter les noirs comme il y a 30 ans, mais sous l’aspect
rassurant des consommateurs modèles.
Et la coupe afro là-dedans ? Alors
que, dans l'imaginaire collectif, elle reste un signe de révolte politique incarnée par Angela Davis, elle est
généralisée aujourd’hui pour représenter le glamour et le cool. Comme chez
"Domino", l’héroïne Marvel aux côtés de Deadpool dans sa version
cinéma (qui est blanche dans la version BD), ou chez Solange Knowles,
chanteuse et mannequin.
L'afro est devenue l’expression d’une intégration à
la société consumériste par la musique et la mode ; elle évoque l’audace,
la séduction, le groove, la nature humaine indomptée, et tout ça est très vendeur.
En France, Inna Modja, chanteuse pop
world-afro-soul et égérie publicitaire, incarne parfaitement cette
tendance. Comme Nneka ou Ayo, chanteuses aux « origines métissées » comme dit le blog Artnoise.
Aujourd’hui on parle aussi de nappy.
Comme souvent quand les minorités se réapproprient le vocabulaire dévalorisant
qui le désignait, le mot péjoratif nappy, qui signifiait "crépu",
est désormais perçu comme une contraction de natural & happy. Le concept nappy a accompagné le développement du l’ethnomarketing destiné aux nappy
girls et les défilés de mode
actuels font la part belle aux nappy-mannequins. La presse féminine « noire » et les blogs spécialisés, comme Nappturallity,
ont joué un rôle important pour donner une visibilité aux variantes
d’afro : conseils cosmétiques et mode, adresses, tuto pour les twist-out,
tresses, effets de textures ou carrément big chop. Un salon Nappy days s’est tenu en 2016 — très « fashionista » selon le Monde — et il existe même une appli qui
organise la coiffure à domicile, Nappy me !
En résumé, la coupe afro véhicule aujourd’hui la double
image de la révolte et du consumérisme glamour : une image doublement
attrayante.
Les communicants, qui pensent en termes d’image de marque et
de rentabilité, ont trouvé là une recette idéale : 1. montrer des femmes
noires (parce qu’évidemment elles paraissent moins inquiétantes et plus
séduisantes que les hommes) ; 2. les choisir avec une nappy,
gage d’intégration sociale. C’est pourquoi on voit tant de publicités avec de
beaux noirs et souriants — ou
plutôt de belles noires souriantes, jeunes, modernes, et avec une afro. Et puis, noir... mais pas trop foncé.