17 mars 2010

"le jeu de la mort" - La Zone Xtrème - the crime inside me

L'émission qui fait grand foin ces temps-ci, c'est "Le Jeu de la Mort", émission de Christophe Nick qui remet réédite l'expérience de Milgram menée en 1963 au sein de l'université de Yale. Cette expérience était censée montrer scientifiquement jusqu'où peut aller la soumission des êtres humains à l'autorité. Des joueurs posaient des questions à un sujet, actionnant des manettes susceptibles d’administrer des chocs électriques mortels à une victime consentante. Il s'agissait d'une mise en scène, mais les questionneurs — les cobayes — l'ignoraient.
Plus de 60% de "cobayes" envoyaient des décharges mortelles. On en avait tiré des conclusions terrifiantes sur la nature humaine, sur la capacité à obéir à des injonctions même si elles étaient mortelles, on a expliqué par la science les mécanismes psychologiques des tortionnaires, des miliciens des régimes totalitaires, des soldats en guerre, etc.
Une expérience similaire a été menée dans les années 2000 et les conclusions étaient à peine plus encourageantes.

La télé remet donc le couvert avec le Jeu de la mort, où on verra les questionneurs et le questionné torturé. 81% de tueurs potentiels ? Quoi ? 81% des joueurs ont donné des décharges mortelles ou presque mortelles ?
Oui, ça questionne. Quelles questions ça peut poser ?

le crime dans ma peau

Il nous semble toujours compliqué d'admettre que dans des situations "extrêmes", sous la pression ultime, nous pouvons être poussés au meutre gratuit. Les tortionnaires de Pinochet, les Khmers rouges, les nazis sont des monstres, des barbares, ils n'ont rien d'humain. Les serial killers, les pédophiles, sont des monstres. On a tendance ainsi à les exclure ainsi de l'espèce humaine. Or en disant ça on évacue tout ce qu'ils ont d'humain, justement : leurs faiblesses, leurs peurs, leur propension à devenir malléables ; on évacue le fait que bien souvent, les criminels sont avant tout sous influence — de pulsions incontrôlées. Quant aux militaires, bourreaux, censeurs et miliciens, ils sont sous influence d'une autorité malfaisante. Chacun de nous est la somme de toutes ses énergies, ses faiblesses et ses peurs. On peut assumer ces fêlures, les apprivoiser, les transformer en atouts ; on peut à l'inverse les nier, pour les traduire plus tard en violence contre ceux qui nous sont plus faibles, plus démunis.
L'expérience  de Milgram,  remise au goût du jour par France2, nous oblige à y réfléchir.

la campagne "Boycott Désinvestissement et Sanction" : une stratégie casse-gueule.

La campagne BDS, comme "boycott, désinvestissement et sanctions", contre la politique israélienne, a été lancée il y a quelques années déjà. Elle vise à s'opposer à la colonisation, à la violation des droits des arabes palestiniens, et du droit international, aux offensives meurtrières contre les populations, à Gaza ou au Liban.

La campagne a son site et ses soutiens : assos pro-palestiniennes radicales ou communautaires ; comités politiques ; associations communautaires maghrébines, juives, arabes ; organisations syndicales ; NPA. Elle a ses soutiens dans de nombreux pays également. La gauche "de combat".
Elle draine pas mal de sensibilités, elle est médiatisée par de nombreux réseaux, et je me satisfais que la politique coloniale israélienne connaisse ainsi un revers d'opinion internationale. Il faut s'opposer évidemment à cette politique raciste.

Mais la campagne révèle plusieurs choses, dont certaines qui me paraissent gênantes.

D'abord, que le droit des palestiniens soit l'objet d'un combat sans aucune mesure avec d'autres causes internationales : à force d'enfoncer des portes défoncées à force d'être ouvertes à propos de l'état israélien, de nombreux signataires ne lèvent pas le petit doigt à propos d'autres états coupables de méfaits bien plus vastes encore que ceux commis par Israël. Que dalle, silence, à propos du Sri-Lanka, du Soudan, de la Chine, de l'Afghanistan, de la Russie, et d'autres états coupables de crimes de masses.
Mais on retrouve le goût immodéré de militants associatifs pour ce cheval de bataille, parfois le seul qu'ils savent monter : la lutte contre Israël, parfois appelée lutte anti-sioniste. Cette indignation choisie.
Ca ne serait pas gênant si l'état d'Israël incarnait et exerçait toutes les vilénies des autres états criminels... mais est-ce le cas ?
Remarquons que cette campagne n'a pas exclus certaines organisations (type CAPJPO, indigènes de la république...) (1) ; des organisations quasi communautaires et parfois raciste, qui, vu leurs positions habituelles, voient encore ici l'occasion de s'en prendre aux Juifs et à leurs communautés ; des organisations qui ne voient en Israël qu'une entité criminelle.

En tant que syndicaliste internationaliste (et même avec mon origine juive), j'ai autant de bonnes raisons de porter une critique sur le régime israélien que sur les régimes iranien ou libyen — pour ne prendre que des adversaires d'Israël qui mènent eux aussi une politique discriminante et criminelle : il suffit de se pencher sur le nombre de meurtres politiques ou sociétaux (des homosexuels, des intellectuels, des opposants) en Iran ou ailleurs... alors, oui, il y a 2 poids 2 mesures dans cette indignation de "gauchistes consciencieux".
Et c'est le genre de raccourcis simplistes qui m'exaspère chez ces organisations politiques de gauche dont je soutiens pourtant la vision sociale.


Ce qui est révélateur ensuite, c'est la stratégie de la campagne BDS ; le choix de ce qu'on boycotte. L'appel pousse à boycotter les produits alimentaires, les "produits culturels" — "Tous les produits culturels commissionnés par un organisme israélien officiel (ministère, municipalité, ambassade, consulat, fond du cinéma public ou d’Etat, etc.) méritent d’être boycottés" —, les évènements sportifs, les institutions et produits universitaires. Une stratégie d'isolement des ciotyens israéliens...

Cette stratégie implique un boycott des produits issus des kibboutzim progressistes autogérés (comme Givat Haim) ; des produits israéliens issus d'entreprises petites ou locales, où des Juifs, parfois des Arabes, sont salariés, dirigeants (c'est plus rare pour les Arabes), promoteurs ; des innovations scientifiques qui peuvent profiter à d'autres pays (je pense à l'Afrique et à l'irrigation, par exemple).
Elle implique aussi un boycott des créations culturelles subversives et courageuses, des films comme Valse avec Bachir, des expériences de théâtre subventionné, des organes de presse de gauche, des musiciens passionnants comme Israël en regorge.
On en arrivera à viser les citoyens israéliens, Juifs, Musulmans, Chrétiens, athées, émigrés récents ou depuis 6 générations, tous considérés implicitement comme des soutiens du sionisme nationaliste et de Tsahal... Au lieu de quoi ? au lieu de peser sur le régime israélien, sur les instances internationales. Au lieu de boycotter les exportations ciblées (certaine presse, certains produits industriels, fruits de l'exploiataion des Arabes, etc.). Au lieu de mener campagne auprès de l'opinion, non contre les Israéliens mais contre leurs dirigeants.

Pour ce qui est du boycott d'Israël, je crois qu'il ne sert que la propagande du panarabisme anti-israélien — qui érige Israël comme ennemi bien pratique, pour éviter de parler d'évoquer sa propre corruption et ses propres dictatures meurtrières.Voilà, c'est dit.

Les campagnes de boycott m'ont toujours emmerdé, que ce soit contre la Turquie ou contre la Chine, parce qu'elles marginalisent toute la population administrée par un régime. Parce qu'on devrait aussi nous regarder, nous, pays démocratiques modèles où, bien sûr, personne n'est jamais humilié, rejeté ni exclus...


(1) : voir les propos de D. Bensaïd sur les Indigènes de la république