9 février 2018

Halle Saint-Pierre : contre-culture VS art brut

"Turbulences dans les Balkans", expo à la Halle Saint Pierre
http://www.hallesaintpierre.org/…/turbulences-dans-les-bal…/
Encore une passionnante expo sur les frontières de l'art naïf, avec des œuvres de personnes marginales, asociales ou autodidactes, mais aussi de personnes parfaitement socialisées mais obsessionnelles.
Un peu bizarre quand même : à égalité, des artistes qui maîtrisent parfaitement les codes sociaux et s'inscrivent dans une contre-culture, et des artistes qui n'obéissent à aucun codes et dont l'œuvre relève du rituel, des marginaux, psychotiques internés ou collectionneurs analphabètes. A égalité, des artistes pop et des artistes autodidactes.
C'est ainsi que Martine Lusardy, commissaire de l'expo, les présente indifféremment : "gardiens du grand héritage de l’art populaire, icône de la pop culture, explorateurs de langages archaïques ou magiciens du matériau brut" on parle de "courants" de l'art brut, avec des "maîtres de l’art naïf yougoslave".
Le mélange laisse perplexe. Il entretient une fascination sans nuance pour l'outrance, la représentation de la violence, en délaissant la façon dont la "place sociale" influence l'artiste.
Car bien sûr, l'environnement d'un individu, la façon dont il est formé, accompagné, reconnu, a un impact décisif dans sa manière de se placer dans son monde et de se présenter aux autres. 
Du coup, en parcourant l'expo, d'abord inconsciemment, j'ai fait une sorte de séparation : d'un côté il y a des artistes comme Ilija Bosilj Bašičević, qui grandit hors des villes, sans modèle et sans maître ; comme Sava Sekulić qui, analphabète jusqu'à 30 ans, ne connut d'abord que guerre, misère et violence ; comme Vojislav Jakic, artiste de la marge et familier de la mort et de la pauvreté ; ou comme Matija Stanicic qui fut femme de ménage pour des peintres et dont les dessins furent découverts après sa mort.

Sava Sekulić, "cerf-ville, 1948
Matija Stanicic, "
Anniversaire", 1976
Ilija Bosilj Bašičević,
"l'orme de Bacina, 1967















De l'autre côté il y a les "nouveaux artisans de la contre-culture", artistes pop bourrés de références culturelles : Emir Sehanovic, venu du street-art, fondateur d'un collectif d'artistes et exposé dans plusieurs capitales européennes ; ou Danijel Savovic, actif dans les fanzines qui parlent d'excès contre l'ordre moral.
Emir Sehanovic,
"Zonrai", 2012
Daniel Savovic, "Souterrain",  1988



Ca pourrait faire deux expos distinctes.
La programmation de la Halle Saint-Pierre reste passionnante. J'y trouve l'art des frontières et des troubles, l'expression d'obsessions sous des formes plastiques, des gestes qui tiennent davantage de rituels de survie que de création artistique. Mais je regrette qu'on entretienne le trouble entre deux formes d'art distinctes, quand on les expose toutes ensemble. Pourrait-on présenter, dans une même expo, une grotte creusée par Jean-Marie MASSOU à côté d'un "cubiste" de Picasso ? A la Halle Saint-Pierre, c'est un peu ça.

Dépasser les frontières c'est toujours créateur. Faire passer une ambition de "contre-culture" pour un geste de survie, c'est trompeur.
Cela dit, courez voir "Turbulences dans les Balkans" !