25 juin 2017

"tout va bien, j'ai demandé au facteur de s'occuper de mes parents."

Récemment on a pu avoir la surprise de voir, dans les bureaux de poste, des bandeaux de pub pour un nouveau service : "Pour votre tranquillité, je veille sur celle de vos parents".

Le site de La Poste explique : "Grâce à son entreprise « Veiller sur mes parents », le groupe La Poste facilite le maintien à domicile des personnes âgées, en leur apportant des services pratiques et rassurants pour eux comme pour leurs proches."
En bref, le client charge le facteur — moyennant des sous — de visiter ses parents ; le facteur rend ensuite des comptes au client. Il s'agit de "lutter contre l’isolement des personnes âgées en conservant un lien social", peut-on lire. Un tel dispositif semble choquant... mais qu'est-ce qui a justifié sa création ?

Le pays souffre d'une insuffisance des services de santé, aggravée par la fragilisation des services publics et des dispositifs de solidarité : difficile de trouver des personnels soignants ou des infirmiers à domicile, ou des maisons de retraite à des tarifs abordables.
Or comme l'affirme Éric Baudrillard (directeur des plateformes de services aux particuliers à La Poste), « avec 6 millions de personnes âgées de plus 75 ans, dont 40 % vivent seules chez elles [la Poste est] la seule entreprise à bénéficier en France d’un tel réseau de proximité ». Mais dites, ça fait un gros marché à prendre, ça ! Voilà sans doute ce qui a mené le groupe à adopter "une stratégie de diversification, pour faire face à la baisse de l’activité de l’acheminement de courrier", comme l'exprime le site Funéraire info.
En 2015, le groupe La Poste avait expérimenté une assurance dépendance, avec la visite à domicile des parents isolés. Puis l'expérience a été déployée avec Veiller sur mes parents.
Tu as des soucis pour veiller sur tes vieux parents ? abracadabra, le facteur est là ! Selon le contrat, il passera chez eux de 1 à 6 jours sur 7, pour dire bonjour, savoir si ça va, remplir un formulaire de réponses, et installer une appli qui permet à tes vieux de solliciter des services de téléassistance.
La Poste tartine sa pub à grands coups d'images souriantes et familières, de caricatures de "petits vieux" et de "gentils facteurs"...


On sait comment, en France, on néglige déjà nos vieux. Certains clients vont maintenant pouvoir s'acheter une bonne conscience, en négligeant les services d'aide compétents, voire en négligeant carrément leurs parents. C'est exactement ce que témoigne un client (rapporté par l'Obs) : "Je cherchais quelque chose qui me sécurise. [à défaut de sécuriser les vieux, on rassure leurs enfants...] Le fait que ça soit La Poste a beaucoup compté dans mon choix. J’ai plus confiance que dans une aide à domicile."

Or les facteurs ne remplacent ne pourront pas remplacer les personnels d'aide à la personne. De toutes façons, le groupe n'y a pas mis les moyens : des dizaines de milliers de facteurs ont suivi une "formation" de TROIS HEURES... et pour certains, il a suffi d'une formation sur Internet. À la suite de quoi ils ont reçu une "habilitation" pour pouvoir s’assurer que les personnes âgées vont bien. C'est si minable que les communicants de La Poste ne le disent pas publiquement ; ils devraient, pourtant.

Les facteurs ont été amenés au fil des années à faire du commerce, du conseil financier, et aujourd'hui à assurer des missions sociales et sanitaires. Certains d'entre eux lé déplorent. Patrick Brilouet, facteur et syndicaliste à SUD PTT,  explique pour l'Obs : "la Poste joue sur la relation humaine qu'on a avec la population et la dénature. Aujourd'hui, on ouvre toujours la porte à un facteur. Si on se met à vendre des tas de trucs aux gens, j’ai peur qu’à terme on ne nous ouvre plus." De leur côté, SUD PTT accuse le groupe de "vendre le lien social du facteur", et la CGT dénonce "les conditions de mise en place de ce dispositif mercantile"...
Sur le terrain, le manque de formation et le flou des missions donne des situations absurdes, comme celle, rapportée par Le Monde, du facteur qui, en remplissant le formulaire avec le client et quand il a fallu mentionner si la personne allait bien, n’a pas inscrit de réponse. « Je ne suis pas médecin, comment savoir ? Du coup, j’ai été convoqué et j’ai écopé d’un blâme », témoigne-t-il. Quand il s’en est plaint à sa cheffe, elle lui a rétorqué : « S’il tient debout, tu dis qu’il va bien. »
Voilà de quoi justifier le tarif !

Tiens, tout ça me fait penser à un projet de réforme de Macron qui consiste à supprimer les cotisations salariales sur l'assurance maladie... logique ! si on baisse les dépenses de santé, faudra bien que les particuliers puissent s'adresser, selon leurs moyens, à des ersatz de services sanitaires...

Pourtant, des personnels soignants et des auxilliaires de vie, il en faut. La société doit protéger ses vieux (qu'ils aient ou non des enfants). Pour ça, il y a un moyen : développer les services sanitaires, les lieux d'accueils, revaloriser les métiers d'infirmier, aider les personnes aidantes. Et mettre le paquet.