27 décembre 2019

De quoi la coupe afro (dans la pub) est-elle le signe ? 2è partie

A l'été 2018 je publiais ici mon enquête sur l'usage, quasi-systématique dans la publicité, de la coupe afro pour apporter une "touche multiculturelle" chez les modèles féminins :
J'y écrivais que depuis des années, l'afro est devenue une norme de représentation des noirs, des femmes noires en particulier, dans la sphère marchande. Une norme qui révèle des stéréotypes hérités du colonialisme, et dictés par la quête du profit et le souci d'améliorer l'image de marque des entreprises. 
Qu'en est-il en cette fin d'année 2019 ?

Les coupes afro s'étaient imposées dans le monde occidental des années 60, dans un contexte de racisme structurel violent : il s'agissait d'affirmer les origines africaines des Noirs, et la rupture avec les conventions imposées par le monde blanc. Alors que ce choix capillaire était un signe politique avant tout, comme l'explique Lisa Akinyi May, il s'est aujourd’hui généralisé, dans les médias et dans la pub, pour représenter le glamour et le cool. Quand dans les Inrocks, la philosophe Yala Kisukidi s'entretient en avril 2019 avec Assa Traoré, figure de la lutte pour la justice sociale, elle affirme : « Dans l'industrie du divertissement, on met toujours en avant une "coolitude" afro qui vend et qui reprend toujours les mêmes clichés : le noir n'est qu'un corps. Et un corps érotisable. Comment être noir sans être piégé par ce corps et toutes les représentations qui le diminuent... ». J'ai voulu montrer cela, montrer que si les noirs sont désormais plus visibles, notamment dans la musique et le sport comme le montrent les études de l’ARPP, la visibilité des femmes noires reste conditionnée à l'afro. Cette stratégie iconographique permet aux pubards de véhiculer l'image de la révolte ET du consumérisme glamour - une incarnation doublement attrayante.

Il suffit d'ouvrir les yeux pour s'en rendre compte : presque systématiquement, l'afro désigne les « personnes perçues comme non blanches » (comme elles sont appelées dans le baromètre annuel du CSA sur la diversité à la télé).
En 2018 j'avais illustré cela en images... en voici d'autres :

 

spots vidéo
comptes Twitter
les enfants


On s'aperçoit aussi que les portraits des équipes dirigeantes des entreprises sont bien éloignées de l'image de marque mise en avant. Car il s'agit toujours d'objectiver, d'érotiser le modèle pour rendre le service vendu plus attractif. Mais vu les faciès des directeurs, pourquoi ne pas avoir choisi des modèles à leur images, des hommes blancs de 45 ans ?
modèles et dirigeants respectifs des entreprises Hello Bank, Tacotax, Paylib et ING, entre 2016 et 2019.
En matière de déco, l'icône de la "femme avec afro" est même un motif récurrent de "vinyles muraux" comme ceux qu'on peut acheter en ligne Ces "tableaux" ont pour fonction d'habiller les murs d'un vernis glamour et cool. Même chose pour "l'esthétique urbaine", tendance street art, où le motif se retrouve régulièrement.
vinyles muraux chez Etsy et Zazzle
Pantin et Bobigny









En fait le stéréotype "femme avec afro" est si bien imprimé dans l'imaginaire collectif qu’à propos de son livre Afro !, Rokhaya Diallo affirme dans le magazine Madame Figaro qu'en donnant « la parole à celles et ceux qui ont choisi de garder leur chevelure naturelle », il s'agit de « donner une image plus cosmopolite de Paris » ! Mais..., l'image "cosmopolite" des Noirs passe-t-elle forcément par l'afro ? Le piège de la marchandisation des apparences fonctionne-t-il si bien ?

En 2018, je pensais naïvement que la tendance coupe afro, systématique, allait vite passer. Mais le filon ne s'épuise pas : cela fait des années que pour les pubards, la "diversité" passe par l'imagerie "femme + coupe afro". 
Enfin les choses changent peu à peu. Depuis 2 ou 3 ans, la mode, toujours à la pointe des normes d'apparences, montre une certaine audace et choisit des modèles arborant un crane nu — comme Adut Akech, Nyakim Gatwech ou Lupita Nyong'o — des dreadlocks ou des rajouts. Certains créateurs choisissent aussi de montrer l'albinisme, comme chez Diandra Forrest, voire des rondeurs.
Un frémissement ?... encore faut-t-il savoir si le but est de marquer l'esprit des consommateurs, ou de représenter réellement la diversité. Dans tous les cas il est indéniable que le public s'ouvre à de nouvelles représentations et apprend à accepter une réelle diversité des apparences.

Et en dehors des top-modèles bankables ?
En France, on ne voit que JD ou Asos — deux marques anglaises en fait — qui daignent représenter la jeunesse en explosant les normes.
campagne pour Asos en 2017

Et en dehors des pubs, dans la vraie vie donc, l'enjeu pour les femmes noires est d'assumer leurs choix en termes d'apparences, capillaires et vestimentaires, sans adopter ceux que le capitalisme dominant a choisi pour elles. Tout comme les blancs ont recours librement au fer à friser, au gel ou aux rajouts capillaires, et au-delà des injonctions commerciales, les noirs sont libres et maîtres de leurs apparences.


Les pubs qu'on voit dans cet article ont été diffusées ou affichées en 2018 et 2019, pour : Ubereats, Pharmabest, l'Appart fitness, Apple, FNAC, Siemens, une photo de Rikki Wright pour WeTransfert, Uber, C-Zam banque, Omnicanal, taxis G7, Kellogs, BNP, H&M, Castorama, le site Synonyme, Bose, Hellowork, Maaf, Engie, un article sur les téléperformances, un autre sur le podcast BDM, un autre sur la chronobiologie, Ouicar, France musique, Car lease, Reebok, Byou mobile, Free, Bouygues, Syma, RED by SFR, Lycamobile, Grazia, Vowifi, ShowroomPrivé, RATP, Air France, Monster offres d'emplois, Sketchers, Bershka, G-star, C&A, L'Or (toujours des corps de noirs pour vendre du café, comme c'est original), Signal, Okaïdi, Westfield, Asos, Hellobank, Paylib, ING, Veepee, Econocom, Gemey Maybelline, Zalando, Etam, beezbee, la mutuelle MCVPAP, Light & free, le groupe Hespéride, American Vintage, Vuitton,Monoprix, Tati, la SNCF, Clarins, Axe parfum pour homme, Véolia, Tacotax, une campagne de vaccination, une autre pour l'apprentissage du FLE, une autre pour les protections féminines, une autre pour le dépistage HIV, de la propagande pour la réforme de la santé, les comptes Twitter de Aweho, Roots magazine, Afrosomething, et Quoi de meuf.

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