27 juillet 2016

pour en finir avec les publi-expositions

En examinant le sujet de certaines expositions, on peut se demander si elles présentent un intérêt culturel ou mercantile.
On va donc parler des "publi-expositions" : ces expositions sponsorisées par une grande industrie et dont l'intérêt de présenter des jouets d'une marque, des personnages de mangas ou de comics, es objets de luxe, et qui sont organisées depuis quelques années.

D'abord il y a avait des publi-expositions dans les institutions muséales, à la gloire des industries de Wendell ou Saint-Gobain au musée d'Orsay, et de Loréal, Bréguet, Bulgari, Cartier, Dior, Chanel, Louis Vuitton & Marc Jacobs,... le site web Louvre pour Tous en fait une liste presque exhaustive

Walt Disney avait déjà bénéficié d'une expo magistrale au Grand Palais en 2006, qui faisait une belle part aux fulgurances artistiques dans l’œuvre de Disney.

Depuis, franchement, c'est n'imp. Comme Playmobil, aux Arts Déco en 2010... La stratégie est simple : ouvrir les musées à un très large public, et produire de la culture avec les industries du divertissement.

"Le musée des Art Ludique - le musée", structure créée en 2013, a une place à part pour institutionnaliser le divertissement de masse. La première expo y fut dédiée à Pixar, le studio d'animation racheté par Disney. D'autres suivirent, consacrées aux studios Ghibli, Bluesky ou Aardman, à l'art dans le jeu vidéo" ou à Marvel. Elles s'adressent aux fans : pour un tarif d'entrée élevé, on ne verra que les méthodes de travail, le parcours des créateurs, des travaux en cours et des objets utilisés pour les films... Aux Arts ludiques, on fabrique du mythe avec des marques.



Dans ce sillage on a pu voir l'expo Star Wars Identities, qui a voyagé en France et à l'étranger. Ou "Avengers S.T.A.T.I.O.N." actuellement. Ou encore "L'art d'Alex Ross", soutenue par Urban Comics en 2014, au Mona Bismarck American Center for art & culture

 
Cet été au Château de Cheverny, on intègre les Lego dans des scènes de la vie des châtelains : prouesses techniques au programme. Et le Musée des Arts décoratifs consacre une publi-exposition à Barbie (la poupée, pas le nazi). De quoi nous éclairer sur le fabuleux destin du couple qui a conçu et commercialisé la poupée, sur les stylistes renommés qui l'ont habillée, sur la profonde influence de cette image féminine canonisée sur des générations des filles et de femmes. De la matière pour les fans. Et à la Halle de La Villette de Paris on glorifie la franchise James Bond. Ses mécènes (TF1, BFM, Le Figaro, RTL, etc.) peuvent espérer un retour sur investissement. Juste avant, le lieu avait accueilli "Foot Foraine", une série de spectacles et d'ateliers autour de la coupe d'Europe de foot.

Les publi-expositions, signe du tournant néolibéral de la culture
 
Que ce soit avec le foot, la pop culture, le luxe ou les jouets, il s'agit toujours de transformer une production industrielle de masse en élément de notre univers culturel, de notre environnement tout entier. Il y a un effet de persuasion : le produit industriel, devenu omniprésent et donc indispensable, devient un marqueur identitaire. Le public est conquis, et on parle bien d'une conquête, d'une opération de guerre : car la publicité est une stratégie de conquête et d'assujettissement du public. Le seul gagnant dans l'histoire est le secteur commercial : les mécènes qui, en s'offrant ces vitrines publicitaires prestigieuses, gagnent en réputation et en pouvoir.
 
Inversement, est-ce que les établissements publics y perdent ? Pas financièrement : ils sont bien rétribués par les mécènes et peuvent alimenter largement leurs fonds propres. Mais il faut recontextualiser ça : depuis quelques années les établissements culturels sont transformés en EPA (Établissements à caractère administratifs), moins bien financés par la puissance de l’État et poussés vers la quête d'auto-financement. Depuis le milieu des années 2000 notamment, les musées publics poussés vers un fonctionnement d'entreprise se lancent dans des opérations publicitaires et des partenariats commerciaux. L'expo Wendel, citée plus haut, financée indirectement par le Medef, marquait ainsi le passage du musée d'Orsay en EPA en 2004. 
Pour les mécènes, il s'agit d'opérations de promo extrêmement rentables à long terme, puisqu'on crée du mythe autour de leurs marques.
 
Mais qu'est-ce qui est du divertissement ? et qu'est-ce qui est de la culture ? La frontière est floue, mais on parle généralement de culture quand il y a un ensemble d'éléments qui lient une population, quand il y a des pratiques ou des intérêts communs. La culture c'est aussi la somme des connaissances. Du coup l'enjeu de ces expositions devient un enjeu de société : qu'est-ce qu'on veut voir devenir de la culture ? Quelles connaissances communes veut-on partager avec la population ? Les réponses sont peu aisées. Mais il y a une question dont la réponse est simple : est-ce que les publi-expositions favorisent un regard critique, distancié, sur notre monde ? Non. Évidemment, non.

Missions des établissements culturels

Un musée c'est « toute collection permanente composée de biens dont la conservation et la présentation revêtent un intérêt public et organisée en vue de la connaissance, de l’éducation et du plaisir du public. » C'est le code du Patrimoine (art. L410-1) qui le définit. Un musée mettra l'accent sur la connaissance, sur l'éducation ou sur le plaisir selon son statut, ses missions, et selon les tendances - politiques ou sociales - en vogue. Le Conseil International des Musées (ICOM) rappelle dans ses statuts qu'un musée est « une institution permanente sans but lucratif (c'est moi qui souligne évidemment), au service de la société et de son développement, ouverte au public, qui acquiert, conserve, étudie, expose et transmet le patrimoine (...) à des fins d’études, d’éducation et de délectation. » Là encore les objectifs sont l'éducation et la notion de plaisir ("délectation").
On retiendra l'idée qu'un musée vise l'intérêt public et qu'il est au service de la société, et c'est déjà pas mal.

Mettre une publi-exposition sur Star Wars ou sur Barbie à égalité avec une rétrospective sur "l'Art pauvre" ou sur le lien entre l'artiste et son atelier, c'est signifier que le divertissement le plus mercantile est une chose d'intérêt public. Si cette tendance s'affirme encore, cela suscitera de l'espoir ou de la colère, selon les utopies qu'on veut bâtir.

Pourtant, présenter des super-héros dans un musée n'implique pas forcément d'alimenter l'addiction mercantile. Parler de Superman, comme l'a fait le Musée d'art et d'histoire du judaïsme en 2007, peut être l'occasion de nous éclairer sur le besoin d'invoquer des sauveurs, des surhommes et des demi-dieux, et d'établir la généalogie des ces figures. D'une autre façon, mettre en scène des personnages Disney en les changeant de contexte, comme on l'a beaucoup fait dans l'art contemporain, nous permet de nous remettre à distance face à nos modes de consommations, et de créer de la subversion. La subversion, c'est indispensable pour une société saine.
Parler d'objets de consommation dans l'art ? faisons-le avec dérision, avec curiosité, et pas pour servir le capital.
 

Pour finir, n'oubliez pas l'exposition-hagiographie-spectacle "Jacques Chirac ou le dialogue des cultures", au Musée du quai Branly-Jacques Chirac — puisqu'il a été rebaptisé à la gloire de l'ex-président. Le post "musée du quai Branly - Jacques Chirac : quand relation coloniale devient dialogue des cultures", publié début juillet, nous montre comment cette opération n'est qu'une grotesque tentative pour évacuer les saloperies droitières, coloniales de Chirac, pour occulter sa corruption françafricaine, et pour redorer son blason. Toujours de la pub.


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