2 juin 2019

ELLE : peut-on être féministe en diffusant des diktats sexistes ?


La couverture du dernier numéro de Elle ne déroge pas à la règle de l'hebdo féminin : une jeune et mince top-model qui incarne l'idéal féminin du moment. Comme chaque année à cette période, ELLE annonce la taille, le bronzage et la sublimitude que chaque femme doit atteindre cet été.

Malgré un discours d'affichage féministe, ELLE relaie toutes les représentations féminines dictées par le patriarcat. Le contenu du n'importe quel numéro est à cette image : on y trouve la mode, les cosmétiques, les accessoires et les boutiques à adopter, puisque l'essentiel d'une vie de femme, comme on sait, c'est de rester belle, jeune et mince à tout jamais, de suivre la bonne tendance et d'éviter la ringardise. L'essentiel c'est de connaître les bons plans, les bonnes terrasses, les traiteurs sans gluten, les stylistes qui utilisent des matières biologiques, les it-tenues qui feront de vous une it-girl, les club de body-training qui vous aideront à garder une apparence sporty, les bonne pratiques du wellness, la zen attitude, les coach en bien-être* qui vous aideront à rester compétitives sur le marché de l'emploi et sur celui de la bonne meuf**.

Bien sûr les mentalités évoluent, bien sûr il y a #MeToo, bien sûr il y a des femmes journalistes, stylistes, politiciennes ou influenceuses. Pourtant, ELLE perpétue une image de "La femme" telle qu'elle a été fantasmée par le patriarcat dans le cinéma, la presse et la pub, une image conçue par et pour les hommes.

Mais alors, comment l'hebdo ELLE parvient encore à afficher une posture féministe ?

>> En affirmant d'abord que les sociétés où le patriarcat oppresse les femmes, c'est pas notre monde. Ainsi les numéros sont jalonnés d'articles sur la condition des filles déscolarisées en Iran, les femmes répudiées en Inde ou les prostituées zaïroises. En occident, y a rien à voir.

>> En valorisant les femmes qui ont des caractères traditionnellement attribués aux hommes : celles qui dominent, qui sont cheffes d'entreprises, qui ont des responsabilités. Comme si les vraies femmes, c'étaient celles qu'ont des couilles — et pendant ce temps, on continue à dévaloriser les hommes qui se conduisent "comme les femmes".

>> En passant un vernis de "bien-être" sur les injonctions à rester belle, jeune, mince et ferme. Être canon, ce n'est que pour pouvoir se plaire à soi-même. Se coller 1 kilo de cosmétique, c'est juste se sentir bien et fraîche. Mieux connaître les bonnes pratiques sexuelles, c'est être plus épanouie.

>> En limitant le sujet des violences faites aux femmes à des cas isolés. Bien sûr on en parle, il est impossible de passer à côté de ces agressions : il faut les condamner, juger les agresseurs, former les pouvoirs publics, dégager des subventions pour la bonne cause. Mais réduire les violences faites aux femmes à un phénomène lié à la pauvreté, l'alcoolisme ou à des pathologies mentales, ça permet de ne pas parler de concepts qui fâchent comme : patriarcat ; domination masculine ; diktats liés aux genres ; culture du viol. Cela permet de ne pas parler d'une tradition sexiste en grande partie liée aux institutions religieuses, dont la Manif pour tous ou les féminicides par des incels***, les agressions de anti-LGBT, les diatribes anti-femmes de Zemmour, de Boutin ou d'imams salafistes, sont des avatars.



>> En faisant quelques articles à sensation sur les femmes qui luttent contre les diktats en mettant en scène leurs corps et leurs choix de genres, comme ici, et là aussi. Ou en citant une égérie archi glamour du cinéma qui dénonce les diktats de la beauté : pas crédible.
Une caution progressiste qui contredit le message sexiste instillé dans la moitié des pages... un truc à devenir schizophrène.




* Happycratie, Comment l'industrie du bonheur a pris le contrôle, par Eva Illouz & Edgar Cabanas (Premier Parallèle, 2018). http://www.premierparallele.fr/livre/happycratie 
** "le grand marché à la bonne meuf" : expression empruntée à Virginie Despentes dans son livre King Kong Theorie (Grasset, 2006). Ironie : ELLE.fr parle de ce bouquin comme de l'un des 10 livres féministes à lire
*** qui sont les incels ? demande Elle.fr

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire