21 juillet 2018

L'affaire Benalla, la 5ème république et la tradition de la violence d'Etat

L'affaire Benalla a été abondamment relayée et traitée, les vidéos et les commentaires occupent la toile depuis quelques jours. Certains médias, comme Médiapart, mettent à jour le fonctionnement d'un système qui permet ce genre de dérives. Pensant que tout est ou sera dit à propos de cette affaire, il m'a d'abord semblé inutile de l'évoquer encore. Puis j'ai voulu parler de ce qu'elle révèle : la violence d'état comme constitutive de la 5ème république, et l'impunité des représentants des gouvernements.
Emmanuel Macron et Alexandre Benalla, au Touquet, le 17 juin 2017-AFP

D'abord, qu'on ne vienne plus me dire que les heurts, lors des manifs, ne sont pas causés par les forces de l'ordre ! Evidemment certains militants, dont les Black blocs, optent pour une violence ciblée pour inverser le rapport de forces entre représentants de l'ordre et manifestants. Mais la tradition du maintien de l'ordre, qui comprend l'intimidation, la violence et la répression, avec l'impunité pour les coupables, est ancienne et évolutive.
Pour Denis Jacob, du syndicat de police Alternative CFDT, 
Benalla n'est pas policier mais "il agit comme tel".

Si les images de l'intervention d'Alexandre Benalla lors de la manif parisienne du 1er mai 2018 sont montées en épingle, c'est pour une raison : cette fois, c'est un proche de Macron qui s'en rend coupable, et pas un flic... La violence des "forces de l'ordre", elle, est aussi banalisée qu'un véhicule de police... Combien de faits similaires sont passés sous silence ? Dans les fourgons, en garde à vue, dans les hall d'immeubles, dans les centres de rétentions ou les campements clandestins, combien de "bavures", de violences sans réelles enquêtes, de morts chaque année entre les mains des flics ? (*)
Article à lire sur StreetPress

Un conseiller de Macron se fait passer pour un flic pour tabasser plusieurs manifestants et il est couvert durant des mois. Qu'est-ce que ça révèle ?
D'abord, l'impunité du pouvoir : si les représentant du gouvernement ne bénéficiaient pas d'une telle impunité, les flics ne l'auraient pas admis dans leurs rangs. Il a fallu que la hiérarchie policière ait eu l'ordre de laisser faire, ce que les médias révèlent peu à peu. Après les révélations, le ministre de l'intérieur a été sommé de fermer sa bouche. Macron s'est contenté d'une formule ubuesque sur la "république inaltérable". Sous la critique, il a d'abord "puni" Benalla avec une mise à l'écart de 15 jours (à titre de comparaison : il y a une semaine, deux jeunes qui ont violenté plusieurs policiers ont pris 3 et 4 ans ferme, sans procès sérieux). Puis, devant le choc médiatique, il a commandé une procédure pour le licencier. Benalla, et peut-être Collomb, seront les fusibles de l'histoire. Mais la faiblesse de la réaction de la présidence équivaut à une caution, et tous comptes faits, c'est aussi problématique que les actes mis en cause.

Ensuite cette affaire révèle (ou rappelle) l'existence de nervis au service du pouvoir. Depuis le 1er mai, la présidence était au courant des violences de Benalla, qui pourtant était resté dans ses fonctions, toujours logé dans une dépendance de l’Élysée. 
Ce type de personnage n'est pas nouveau dans l'entourage de l'Elysée. Pas de doute, on est en France, le pays de la Françafrique, d'une corruption et d'une barbouzerie voulue par De Gaulle et organisée pour sauvegarder les intérêts coloniaux — comme l'a magistralement démontré SurvieLe pays du Service d'Action Civique (SAC), police parallèle, et du Groupe union défense (GUD), milice fasciste, deux organisations au service des présidences qui ont formé de nombreux dinosaures de la politique. Le pays de Foccart, Pasqua, Longuet, Madelin, Chirac, professionnels du coup tordu qui ont imprimé leur marque sur les mécanismes gouvernementaux. Le pays de la répression d'opposants et des assassinats politiques (en l'absence de caméras), du Rainbow Warrior, des élections truquées en Afrique et des putsch soutenus par Paris. Le pays des records de ventes d'armes, des guerres du pétrole et des essais nucléaires en Polynésie. Le pays des mercenaires envoyés pour "orienter" les conflits en Algérie, en Nouvelle Calédonie, en Côte d'Ivoire, au Vietnam, au nom de la grândeur et des intérêts français. 
Le pays de l'affaire des diamants, des "biens mal acquis", des scandales EADS, L'oréal, du fric lybien et du financement des partis. 
A chaque mandat de la 5ème république, la corruption étatique a pu exister grâce à des hommes prêts à tout et bien protégés, et grâce à des cellules secrètes qui disposent de moyens financiers illimitésSi les nervis de la république peuvent faire le coup de poing en dehors des contraintes légales, au mépris de toute considération éthique, des libertés et des droits humains, sans craindre l'IGS et la hiérarchie, c'est parce que le pouvoir est prêt à TOUT pour se maintenir en place.

Même s'ils sont graves, ce ne sont pas les actes de violence du 1er mai qui m'ont "frappé" le plus, c'est ce que révèle une telle affaire — la marge d'action que se permettent nos gouvernements pour écraser l'opposition, au-delà de tout mandat. C'est la raison d'Etat, ce masque constitué d'éléments de langage et de relais médiatiques (comme ce salopard de Charles Beigbeder, homme d'affaires et élu, pour qui il est normal de risquer sa vie lorsqu'on désobéit à un représentant de l'ordre, et que "cela doit redevenir la norme en France !"). La raison d'état permet les pires exactions, avec une propagande pour justifier l'injustifiable.

Si on prête l'oreille et si davantage de journalistes font leur boulot de journalistes, on entend beaucoup d'histoires comme celle de Benalla. Des histoires avec des tabassages couverts par la "légitime défense", des "accidents" en Garde à vue, des morts étouffés sous les genoux des flics, des yeux éclatés sous les flash-balls, des refus de plaintes et des témoins réduits au silence. C'est pas les témoignages qui manquent, et il y a déjà suffisamment de sources médiatiques pour en faire l'écho.


(*) Si Remi Fraisse ou Adama Traoré — pour qui la marche qui a lieu aujourd'hui à Beaumont-sur-Oise réclame la mémoire et la justice — sont devenus de malheureux symboles, ne fermons pas les yeux sur les autres violences policières. Violences criminelles envers les marginaux, envers les sans-papiers, persécutions arbitraires dans les centres de rétentions, sort des famille de réfugiés dont on bousille les tentes et écrase les affaires, coups insultes envers les témoins, suspicion généralisée envers les gens à la peau pas assez blanche.

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