2 septembre 2022

Ce que les urinoirs alignés font aux hommes...

> attention, sociologie des toilettes pour hommes <

Les hommes ont toujours connu les urinoirs alignés, vous savez, on est debout les uns à côté des autres, on s'entend, on peut se voir, il y a parfois une petite paroi à hauteur de la taille, ou bien pas de paroi. On est censés s'y habituer.
 
A l'école, au lycée, dans les vestiaires du gymnase, à l'armée, au taf, le "mobilier sanitaire" des toilettes pour hommes leur d'accepter de s'exhiber sans le vouloir. Chacun peut y exercer une sorte de contrôle mutuel sur l'autre : sans le vouloir mais tout en ayant les moyens de s'épier, on peut mesurer l'aisance de l'autre, la durée, l'intensité de l'acte, et tout dans ces situations est si bruyant, si visible, que pour beaucoup d'hommes il y a une vraie difficulté.
Parmi les hommes, nous sommes nombreux à avoir connus le fameux blocage : pisser côte à côté, on s'y habitue parfois au prix de plusieurs années de forte gêne. On fait semblant de s'ignorer même si c'est impossible, mais celui qui parvient à pisser comme s'il était seul apparaît comme un vrai gars.
 
Il y a cette idée implicite que c'est un aveu de puissance — parce que si tu peux pisser en public, c'est que tu... peux.
Les codes de la masculinité consistent souvent à mettre les mecs en concurrence sur des critères liés au sexe, au genre, aux organes génitaux. L'un des codes de la masculinité, c'est que celui qui ne peut pas pisser en public avoue implicitement son impuissance.
Les urinoirs alignés sont un test de masculinité. 
 
Moi, comme beaucoup d'autres mecs, j'ai longtemps été empêché de pisser, préférant les cabinets fermés. D'autres hommes, quand ils sont les seuls à attendre de s'enfermer pour se soulager, passent pour des fragiles, l'insulte suprême des masculinistes. On en est encore là.
 
Il suffit de voir, dans les représentations collectives (le cinéma notamment), de quoi les chiottes de mecs sont les décors : lieux où des hommes de pouvoir scellent des accords secrets, où des hommes en tabassent et en humilient d'autres... Lieu de puissance ou d'exclusion.
 
Les urinoirs alignés sont un dispositif qui favorise l'exclusion, le harcèlement scolaire, les humiliations publiques. Je n'ai jamais compris leur existence. Sauf dans les situations d'urgence (teufs, manifs, festivals, camps éphémères d'accueil...), rien ne justifie ces dispositifs.




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4 avril 2022

C'était mieux avant ?

Je viens d'une époque où chaque samedi, la télé de Collaro diffusait le strip-tease d'une jeune fille devant un parterre de crevards bavants, et montrait un sketch où des humoristes prenaient des airs efféminés pour chanter "j'ai attrapé la maladie honteuse".

Une époque où le mot sida était surtout une source de blagues salaces. Une époque où l'on se moquait outrageusement et publiquement des femmes, des gays, des juifs ou des immigrés. Une époque où Leeb faisait rire en imitant les visages des noirs, où Lagaf' chantait la zoubida et où, dans les films, on représentait les asiatiques comme des êtres obligeants mais fourbes.

On appelait ça la liberté d'expression.

Je viens d'une époque où Bouvard, Collaro, Fabrice, Roucas, Guy Montagné, Guy Lux, Foucault, Dechavanne Arthur, Cauet, donnaient au PAF un air de dortoir pour bidasse. A cette époque les poètes n'avaient aucune place.

Je viens d'une époque où les groupes de musique antillais, brésiliens ou africains ne passaient à la télé que pour ajouter du rythme et de la gaieté. Une époque où l'on mettait Touré Kunda à égalité avec la Compagnie créole. Une époque où le Club med prospérait sur l'exotisme festif des pays du sud, et où le village Bamboula, fermé en 1994, était un joyeux parc d'attraction de Loire-Atlantique.

Je viens d'une époque où les femmes, dans les pubs, étaient : soit ultra maquillées avec robe rouge & talons hauts pour vendre des bagnoles ; soit sages avec un petit chemisier blanc pour vendre de la lessive. Une époque où les animatrices TV jouaient le rôle de bimbos cruches et maladroites, et étaient remisées à la radio quand elles dépassaient 38 ans.

Je viens d'une époque ou Giscard, Mitterrand, Chirac étaient appréciés malgré leurs erreurs politiques, car fallait reconnaître, hein, c'étaient de vrais hommes — c'est-à-dire des gros queutards. A cette époque, DSK, PPDA, Tron, Duhamel, Polanski et les autres avançaient dans l'admiration générale.

Je viens d'une époque où M6 explosait grâce à des émissions "libertines" : des jeunes femmes se caressaient lentement en regardant la caméra sur une mélodie paresseuse au saxo, et les scénaristes n'offraient qu'un seul modèle sexuel, pauvre et humiliant. Une époque où l'on attendait que "Demain j'enlève le bas", selon la promesse d'une pub, et où l'on s'extasiait que Le juge est une femme. Une époque où la France n'avait pas de Freddy Mercury, pas de Janis Joplin, pas de Laurie Anderson, pas de Jimmy Somerville ni de Klaus Nomi, pas de Hendrix et pas de Prince. Et sans déconner, les grandes chanteuses de mon époque c'étaient Mireille Mathieu, France Gall et Mylène Farmer. Le grand public pouvait juste changer de registre avec Lio.

Une époque faite PAR et POUR les mâles dominants. Balavoine était le summum de l'anti-Johnny, c'est dire.