25 avril 2015

les super-héros de crise : comics, cinéma et publicité

Qu'on soit plein d'entrain ou dans la mouise, on imagine des héros de circonstance.

Pendant la 2ème guerre mondiale la presse avait vu naître les héros de comics, sauveurs du "monde libre" comme le Golem sauvait le peuple juif. Alors que Superman attaquait la ligne Siegfried dans un comics de 1940, que Captain America combattait les Rouges, et tandis que Batman suppléait les forces de l'ordre, les super héros participaient à la fierté patriotique. Les 30 Glorieuses ont ensuite vu apparaître Spiderman, Dare Devil, Batman, les Fantastic 4 qui, même avec l'âme troublée, étaient des sauveurs mus par une morale inébranlable, des patriotes combattant le crime.

Quels super-héros pour aujourd'hui ? Dans les années 1980, Alan Moore avait imaginé la BD the Watchmen, des justiciers costumés qui voulaient sauver le monde et se prenaient la réalité en pleine tronche : la corruption et l'impuissance des pouvoirs, leurs propres incertitudes et névroses. Jamais les mythes héroïques n'avaient été aussi ébranlés.
Les années 2010 ne sont plus les années 1940. Nous avons traversé des décennies de remise en question des sociétés occidentales et de critique des pouvoirs. En même temps et sans discontinuer depuis la fin des années 50, de grandes puissances occidentales ont déclaré des guerres sanglantes et pour des motifs mensongers. Puis les capitalistes ont tenté de nous faire gober le mythe de la crise financière et ont sacrifié nos utopies sur l'autel de la croissance ; les technocrates au services des États ont pu ainsi imposer l'austérité économique, ici et là, pour attirer les investisseurs.
Le relativisme a fait des ravages. Revenus des idéologies et des mensonges politiciens, nous sommes seuls face à une machine libérale en quête de profits, et les pouvoirs nous inspirent davantage de défiance que de respect.
Avec ça, les super-héros seraient encore aux côtés des forces de l'ordre ? La grosse blague !


Aujourd'hui on s'amuse encore des super-héros traditionnels des comics et des blockbuster. Mais des héros pas très super apparaissent aujourd'hui ; ils singent les anciens, sans en avoir les super-pouvoirs. Les justiciers costumés d'aujourd'hui sont instables et fragile, dingues ou paumés, parfois carrément égoïstes.
En 2010, le cinéma a généré 3 films sur ces super-losers qui décident de se costumer pour des motifs assez matérialistes. Dans Super, de J. Gunn, Franck, un type moche, malchanceux, teigneux et obstiné, va revêtir un habit assez minable et va tout faire pour séduire une femme et la baiser. Dans Kick-Ass de M.Vaughn, adapté de la BD éponyme, Dave est un ado fan de comics, que sa constitution d'ablette n'empêche pas de revêtir une gaine verte qui plisse et de se mesurer à plus gros que soi. Dans Defendor de P. Stebbings, Arthur Poppington est juste un grand malade, et malgré sa psy, il se prend pour un justicier. Ces trois-là ont un point commun : ce sont des gentils, au fond.
Les Inrockuptibles avaient titré à l'époque : Les super-héros sont morts, vive les super-losers ! Les super-losers attirent davantage de sympathie que les anciens super-héros, à la morale implacable et aux pouvoirs indiscutables mais auxquels on ne pouvait pas s'identifier.


Ces films de super-losers sont assez jouissifs : ils nous disent qu'il y a une promesse de réussite même pour les abonnés à la mouise, que l'obstination (avec quand même un peu d'entraînement physique) permet tout, même si l'on part de très-très-bas. Après tout, c'est un mensonge moins gros que Superman.

Bien sûr la publicité a utilisé ce code très actuel du super-looser. Comme Diesel, dont la campagne mettait en scène des gens revêtant des éléments de costumes héroïques, dont le slip de la marque. D'autres enseignent ont, elles, surfé sur la crise économique pour draguer un public plus modeste. Elles ont ainsi créé des mascottes humaines pourvues de capes et de gaines un peu foireuses, avec le côté "petit budget" en même temps le côté "sympa" : Grosbill ; Acer ; Orange ; les deux clowns du 118-212, (qui d'ailleurs ont plus à voir avec l'aérobic qu'avec l'héroïsme).


Office Dépôt fait très fort avec le "super pouvoir d'achat"



Pub pour Acer
pub pour l'appli Shoops, à Lyon

Les 2 mascottes du N° des renseignements téléphoniques

Mascotte de Grosbill

En langage pub, ce genre de "héros commun" incarne le consommateur qui achète sans avoir les moyens, et qui assume fièrement son petit pouvoir "d'achat". "Oui, toi qui est dans la merde, tu es aussi concerné par notre pub. Notre mascotte est d'ailleurs à ton image."
Chaque époque a ses super-héros, comme le montre la Sociologie des super-héros de Thierry Rogel. 
Un jour, espérons-le, la notion d'héroïsme deviendra ringarde, et à la place s'imposeront le besoin de justice et la nécessité de s'organiser pour bien vivre ensemble. Et alors nous nous battrons ensemble, sans avoir besoin de campagnes publicitaires pour nous y inviter. Ça vous tente ?

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