26 octobre 2017

l'écriture inclusive, faux combat du féminisme ?

Je n'ai pas l'habitude de faire la promo de l'Académie française, mais bon. Les académiciens viennent de sortir de leurs bocaux de formol et de faire un communiqué pour contrer l'extension de l'écriture inclusive — cet ensemble de règles qui a vocation à "cesser d'invisibiliser les femmes. 

Le mois dernier, Libé publiait un article au sujet d'un manuel scolaire qui usait de l'écriture inclusive, et de la petite polémique qui a suivi. On pouvait y voir à quel point le système "inclusif" propose des règles variables et multiples, une nouvelle façon de s'exprimer. L'écriture inclusive, c'est juste un outil dont usent certains féministes pour rendre visible leurs revendications

A la suite des récentes révélations sur les violences faites femmes dans le monde, l'écriture inclusive fait le buzz. Or, avouons qu'elle est difficilement prononçable, qu'elle gêne la lecture. Et puis, en pratique, les rédacteurs (de tracts, de manifestes, etc.) oublient toujours des trucs à accorder — ou en rajoutent maladroitement... Je n'en peux plus de lire, dans la littérature syndicale, par exemple, que telle mesure a "un impact considérable pour tou-te-s les usager-e-s" ! ou qu'il faut une "requalification de tou.te.s les contrats aidé.e.s en CDI". Et je n'invente rien.
Ce n'est peut-être qu'un effet de mode langagier, mais il divise, il crée une polémique qui cache de vrais enjeux politiques : la violence faite aux femmes, les inégalités dont elles sont victimes dans de nombreux domaines...
Je pourrais paraphraser l'Académie française : "La démultiplication des marques orthographiques et syntaxiques qu’elle [l'écriture inclusive] induit aboutit à une langue désunie, disparate dans son expression, créant une confusion qui confine à l’illisibilité. On voit mal quel est l’objectif poursuivi [bon, en fait, on le voit très bien, mais il arrive que l'intégrité militante confine à l'intégrisme] et comment il pourrait surmonter les obstacles pratiques d’écriture, de lecture – visuelle ou à voix haute – et de prononciation. Cela alourdirait la tâche des pédagogues. Cela compliquerait plus encore celle des lecteurs." On a bien saisi que les combats féministes, les académiciens s'en cognent comme de savoir utiliser leur épée, et c'est regrettable. Mais je partage leur souci de la cohérence du langage et j'espère rencontrer un ensemble de règles, qui incluent les femmes à égalité avec les hommes sans rendre l'écriture imprononçable.


Pendant ce temps persistent les combats d'égalité des droits, de reconnaissance dans le monde du travail, de représentativité dans la sphère publique, de lutte contre les préjugés et les violences faites aux femmes, et les combats pour la reconnaissance des minorités sexuelles. 
On sait que trop de femmes peinent à se faire payer au niveau de leurs collègues mâles, des femmes à qui on reproche leur éventuelle grossesse, qui se font tripoter ou subissent des remarques incessantes sur leur apparence, comme si elles n'étaient que des éléments de déco (et qui savent que quand leurs patrons adoptent l'écriture inclusive, ça ne change rien pour elles)... Et je ne parle pas de celles, reléguées dans des situations d'esclavage conjugal ou social, dont le corps n'est qu'un outil à la merci des hommes ; celles que la grande majorité des défenseurs de l'écriture inclusive ignorent confortablement.

L'écriture inclusive est le parfait exemple d'un faux combat. Le féminisme est ailleurs.

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Par souci d'honnêteté je laisse  cet article en ligne même si je le renie totalement aujourd'hui, mais au moins pour me pettre ce présent ajout. 

Ma perception de l'écriture inclusive, comme un moyen de rendre visible les femmes à travers le langage, et comme outil d'une langue juste, a évolué au contact de militant.e.s féministes et de personnes qui proposent de nouvelles règles. Au contact de gens concernés par ces questions et qui en ont exploré les possibilités, je ne parviens plus à justifier certains usages actuels : le masculin neutre, le masculin pour un groupe mixte, le masculin par défaut, les professions au masculin, etc. Le langage reflète nos choix de civilisations ; celle que je souhaite est égalitaire.

La langue n'a rien de figé ni de légitime par essence. La langue change, on peut la faire changer selon que changent nos sensibilités.
Je laisse ce vieil article ici, également pour mesurer le chemin parcouru.

Paco, décembre 2022.

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